1945 : "Je voyais mes copains tomber"
1945 : "Je voyais mes copains tomber"
Publié le 07/05/2025 | L'Indépendant | Diane Sabouraud
"Je voyais mes copains tomber à côté de moi. C’était irréel" :
Le bouleversant témoignage de Maurice
qui a participé à la Libération en mai 1945

Maurice Poulet, cent ans le 16 mai, raconte l’enfer de la Seconde Guerre mondiale. / L'Indépendant - Charles Baron
Maurice Poulet, qui soufflera ses cent bougies dans moins de 10 jours, recevra ce jeudi 8 mai 2025 la croix du combattant lors de la commémoration officielle, à Perpignan, de la fin de la Seconde guerre mondiale. C’est un homme rempli de pudeur qui a accepté de se livrer à L’Indépendant. L’exercice n’est pas aisé mais il le fait. Pour qui ou pourquoi ? Pour l’histoire, peut-être. Pour tous ceux qui n’ont jamais pu raconter, sûrement. Pour ne jamais oublier, sans doute.

La 1re armée française a été le bras armé de la Libération. / Infographie L'Indépendant
"Je ne suis pas un héros, vous savez", ces mots prononcés avec toute l’honnêteté et l’humilité apprise par près de cent années d’existence sont ceux de Maurice Poulet. Ce Parisien d’origine jouit de la douceur des Pyrénées-Orientales depuis sa retraite. Des jours heureux. Reposants. Mérités, surtout. Car la vie de Maurice a été bouleversée à jamais en raison d’une décision prise à 19 ans. À l’âge des possibles. À l’âge des erreurs aussi.

Edouard Labat, fils de paysans devenu commando britannique / DDM
À peine sorti de l’adolescence, Maurice s’est engagé dans l’armée française. C’était en 1944. "Aujourd’hui, je vous dirais que c’était pour la France, bien sûr…". En réalité, il l’avoue à demi-mot, ce jour-là de 1944, Maurice est aussi poussé par un désir d’indépendance, de quitter le nid familial. Normal, c’est un jeune homme de 19 ans.
Mais en 1944, l’horizon est encore sombre. Le champ des possibles miné. Alors, ce sera la guerre. "J’ai été envoyé à Mont-de-Marsan pour suivre ma formation. Nous avons eu trois à quatre mois pour apprendre les rudiments de l’entraînement militaire". Trois mois seulement avant de partir sur le front de la Seconde Guerre mondiale. Mais Maurice ne réalise pas vraiment quel avenir s’écrit devant lui.

Canet-en-Roussillon : fête de la Libération et commémoration / Ind
"Du jour au lendemain, je me suis retrouvé dans un train". Direction Altkirch aux alentours de Mulhouse. Maurice Poulet vient d’intégrer le 3e régiment d’infanterie coloniale de la "1re armée française". Son grand supérieur n’est autre que l’illustre général De-Lattre-de-Tassigny. "Je ne vais pas vous mentir, je ne l’ai vu qu’une seule fois. Il est venu nous inspecter".
Le jeune Maurice, encore insouciant, se retrouve sur le terrain de la guerre en Alsace à l’automne 1944. Sa mission est des plus difficiles. "Nous étions appelés les nettoyeurs. Nous devions passer après les premiers soldats pour débusquer les Allemands qui se cachaient. Soit par lâcheté, soit par fanatisme, soit parce qu’ils ne savaient pas où aller".
Au réveil, souvent, nous étions noyés de billes de plomb. Des explosions !

"Mobiliser les gens, qu’ils participent à cette journée" : la grosse artillerie de sortie à Alès pour célébrer la Victoire de 1945 / ML, Alexis Bethune
80 ans plus tard, même si sa vision s’estompe au fil des années, il suffit d’observer le regard de Maurice Poulet pour apercevoir une infime partie de l’horreur à laquelle il a dû assister. Et participer.
"Je vais faire l’effort, mais je n’aime pas trop en parler. C’était dur d’arriver après et de devoir débusquer les Allemands qui se planquaient. Parfois, ils n’étaient que quelques-uns. D’autres fois, ils semblaient tous réunis au même endroit. Et, autant vous dire qu’ils ne vous attendaient pas avec des fleurs… La nuit, nous ne dormions pas. Après trois à quatre jours éveillés sans interruption, si nous arrivions dans une forêt on nous disait : Faites votre trou. Nous devions creuser pour nous allonger et dormir un peu. Au réveil, souvent, nous étions noyés de billes de plomb. Des explosions."

Brassac (81) : Transmettre à la génération montante / DDM, Chrys Connelli
Après l’Est, Maurice et ses camarades sont envoyés nettoyer les côtes normandes. "Je me souviens que nous étions sur un canot gonflable. Les Allemands en face tiraient en rafale. Je voyais mes copains tomber à côté de moi. Ils tombaient juste, simplement. C’était irréel".
Maurice répétera cette mission durant un an. Comme une effroyable ritournelle. Comme un jour sans fin. Mais surtout comme un entraînement. Car ces jeunes soldats sont destinés à partir en Indochine pour poursuivre la guerre sur cet autre front. Loin, très loin de chez eux. "Tout le régiment a été amené à Marseille. Nous devions monter sur les bateaux et partir pour l’Indochine. Une partie de mes camarades sont montés sur la première embarcation. Nous devions suivre le lendemain".
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On n’a plus besoin de vous, rentrez chez vous
Mais la vie est décidément bien imprévisible. Ses supérieurs annulent le départ in extremis. La guerre est en train de se finir. Cela ne sert plus à rien de partir. Maurice et ses camarades sont ramenés dans leur caserne avant d’être renvoyés chez eux. C’est fini. "On n’a plus besoin de vous, rentrez chez vous". Maurice se retrouve seul. Qu’a-t-il fait après la guerre ? Son esprit s’embrouille. Ressasser le traumatisme de 1944 perturbe une mémoire qui a tout fait pour tenter d’oublier ces longs mois d’horreur.

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Dans le civil, Maurice a travaillé dans une usine nucléaire avant de devenir contremaître. À sa retraite, il s’est installé dans les Pyrénées-Orientales, aspirant à des jours heureux. C’est sur cette terre catalane, fertile aux belles histoires, que Maurice rencontrera sa compagne et retrouvera 80 ans plus tard l’un des siens. Un certain Claude Hernandez, 104 ans aujourd’hui, résistant et ancien combattant de la 1re armée française. "C’était incroyable, lance Maurice dans un éclat de rire. Comme quoi…". Même dans la noirceur la plus totale, la vie reprend toujours ses droits.

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