Publié le 12/06/2020 à 07:14 | La Dépêche du Midi | Philippe Rioux
Comment des territoires d'Occitanie se sont dépeuplés depuis 50 ans, faute d'emplois
Variation de la population entre 1968 et 2016 dans les bassins de vie d’Occitanie Insee
Une étude publiée ce vendredi par l’Insee montre que depuis 50 ans, faute d’emplois, des territoires se dépeuplent en Occitanie.
L’Occitanie a depuis de longue date l’image d’une région dynamique. Que ce soit grâce à l’attractivité de la métropole toulousaine ou celle du littoral languedocien, la région attire de nouveaux arrivants chaque année. Mais, a contrario, des territoires, faute d’emplois, sont en perte de population comme vient de le montrer une nouvelle étude publiée ce vendredi 12 juin par l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) d’Occitanie, sous la direction de Laurent Bisault.
Cette enquête très fouillée se base sur les recensements de la population de 1968, 1975, 1982, 1990, 1999, 2008 et 2016. Cinquante années donc qui permettent de mesurer l’évolution des 215 bassins de vie de la région, c’est-à-dire les plus petits territoires sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants.
La Tour Cabrol de Decazeville / DDM, BHSP
Certains territoires moins peuplés qu’il y a cinquante ans
«?Avec la disparition de nombreuses exploitations agricoles familiales et d’anciennes industries, certains territoires d’Occitanie sont aujourd’hui moins peuplés qu’il y a cinquante ans. Au sud du Massif central, dans les Pyrénées et une partie du Gers, les effectifs d’agriculteurs et d’ouvriers ont beaucoup baissé. Ces actifs n’ont été que partiellement remplacés par des cadres, des professions intermédiaires et des employés. Dans ces bassins de vie, le chômage est disparate, souvent bas dans les territoires agricoles et élevé dans les anciens bassins industriels?», explique Laurent Bisault en introduction.
Dans 63 bassins de vie, «la population a diminué entre 1968 et 2016 alors que l’ensemble de la région connaissait un fort dynamisme démographique. La population y a aussi vieilli plus rapidement que dans le reste de la région, les plus jeunes étant partis étudier et travailler ailleurs. Ils étaient 788.000 habitants en 1968 dans ces territoires. Ils ne sont plus que 645.000 à y résider en 2016.»
Disparition d’exploitations et arrêts d’industrie
Variations de population et d’emploi1 dans les bassins de vie en déclin démographique d’Occitanie entre 1968 et 2016 - Insee
Dans ces bassins «l’emploi a baissé ou au mieux stagné, ce qui a réduit d’autant la possibilité de vivre sur place, sachant que les autres pôles d’activité sont trop éloignés pour permettre aux habitants de résider dans ces bassins et de travailler ailleurs», explique l’Insee qui pointe deux causes principales: la première est la disparition de nombreuses exploitations agricoles familiales et la fin de certaines histoires industrielles (mines, métallurgie, habillement).
«L’arrêt total ou partiel d’établissements industriels, dans les mines, le textile ou dans d’autres activités, a également réduit les effectifs de façon plus localisée, mais aussi plus brutale. Dans les villes et campagnes moins peuplées, des artisans et des commerçants ont fermé boutique faute de clients, dans un contexte marqué aussi par de profondes transformations des modes de vie et de consommation», estime l’Insee.
«Ces territoires ont perdu 37.000 postes d’ouvriers non agricoles de 1968 à 2016, alors que ces postes étaient stables en nombre mais profondément transformés dans le reste de la région (nouveaux secteurs d’activité, qualification croissante…)», détaille l’Insee.
Mazamet : La route des usines : un patrimoine industriel à redécouvrir / DDM
Chômage disparate
«?Avec la baisse de la population, les territoires en déclin ont perdu 9?000 postes d’artisans, de commerçants et de chefs d’entreprise. Davantage de commerçants que d’artisans, car le commerce traditionnel a souffert de l’expansion de la grande distribution?», note l’Insee.
Pour s’adapter aux nouveaux besoins d’une économie régionale de plus en plus tertiaire, le nombre de cadres a augmenté dans ces bassins de vie, comme celui des professions intermédiaires et des employés, mais dans ces zones en déclin démographique, l’emploi demeure encore aujourd’hui plus agricole et globalement peu qualifié.
«Les exploitants et ouvriers agricoles occupent ainsi 12% des emplois contre 3% dans le reste de la région qui englobe aussi bien les plus grandes villes que certains bassins de vie plus ruraux en croissance démographique», indique l’Insee, qui trouve là une des explications de la disparité du chômage dans la région. Ainsi, des taux de chômage bas comme en Aveyron ou en Lozère (territoires agricoles), sont dus au départ de ceux qui n’ont pas repris la ferme.
A contrario dans les anciens bassins miniers, métallurgiques, ou les territoires spécialisés dans le textile, les ouvriers privés d’emplois sont souvent restés, d’abord au chômage puis en dehors du marché du travail.
Agriculture : 93 000 emplois en moins en 50 ans
93.000 emplois d’exploitants et d’ouvriers agricoles ont été perdus depuis 1968 / DDM
Première cause du dépeuplement de nombreux bassins de vie de la région depuis 50 ans: la disparition de nombreuses exploitations agricoles familiales, selon l’Insee. «93.000 emplois d’exploitants et d’ouvriers agricoles ont été perdus dans les territoires en déclin démographique d’Occitanie depuis 1968. Soit 78% des emplois liés à l’agriculture en moins, un mouvement que l’on retrouve dans le reste de la région comme dans l’ensemble de la France», indique l’Insee.
Des pertes d’emplois rapides de 1968 à 1990. «De tels volumes d’emplois perdus ont été atteints parce que, depuis la France des Trente Glorieuses, les politiques d’orientation agricole ont accéléré l’exode rural», indique l’Insee, qui souligne aussi la profonde transformation qui s’est opérée dans les exploitations agricoles (extension des superficies, machines plus puissantes, recours à la chimie). «Beaucoup de petites exploitations familiales qui associaient culture et élevage ont disparu. L’agriculture a fortement régressé dans certaines zones montagneuses, mais elle est partout devenue économe en main-d’œuvre», selon l’étude.
L'Occitanie est la première région bio de France. / DDM, E.C.
L'autonomisation des femmes
Autre bouleversement sociétal: les femmes d’agriculteurs sont progressivement devenues de plus en plus autonomes sur le plan économique. «Le travail en dehors de la ferme était devenu majoritaire pour les épouses en 2008. Ceux qui sont restés à la ferme sont donc le plus souvent ceux qui ont continué à y travailler.» «En 1968, les emplois d’exploitants et d’ouvriers agricoles constituaient ainsi 80% des effectifs autour de Trie-sur-Baïse entre Hautes-Pyrénées et Gers, 75% à Rieupeyroux dans l’Aveyron, 73% à Marciac (Gers) et un peu plus de 70% à Alban (Tarn) et L’Isle-en-Dodon (Haute-Garonne).
L'Association pour le Développement de l'Emploi Agricole et Rural de l'Aveyron poursuit ses actions en direction de l'installation des jeunes agriculteurs. / DDM
12% des effectifs dans les territoires en déclin démographique
Cinquante années plus tard, les emplois agricoles ont drastiquement chuté. Ils ne constituent plus que 12% des effectifs dans les territoires en déclin démographique, l’essentiel du chemin ayant déjà été fait à la fin des années 2000. Les fiefs régionaux de l’agriculture sont toujours les mêmes, mais elle mobilise désormais à peine plus de 30% de l’ensemble des emplois à Réquista et Pont-de-Salars (Aveyron), un peu moins à Laguiole (Aveyron), Alban et Trie-sur-Baïse, et seulement 21% à Marciac.»
Publié le 13/06/2020 à 07:12 | La Dépêche du Midi | Lucas Serdic
À Lavelanet, le textile a laissé un grand vide
Le site Nestor, appartenant autrefois au groupe Roudière, a fermé ses portes en 2012, laissant la nature reprendre possession de ses cinq hectares de terrain. / Photo DDM, A.C.
Musée du textile sur la droite, indique le panneau. Nous sommes au début de la rue Jacquard, longue de près de 2 kilomètres. À Lavelanet, en Ariège, c’est dans cette rue, notamment, qu’une bonne partie des usines de textile du coin se succédaient "à la grande époque", celle où la ville, avec ses voisines du Pays d’Olmes (Laroque, Villeneuve, Montferrier…) faisait partie des leaders du secteur en Europe, générant plus de 5 000 emplois, autour d’un bassin de vie qui a compté, à son apogée, pas loin de 20 000 habitants il y a une trentaine d’années.
Tout au long de cette rue, pavillons des années 60 et usines de plus de 20 000 m2 témoignent de cet âge d’or. Certaines bâtisses sont abandonnées, inhabitées, laissées à leur sort. D’autres réhabilitées, tentant de repartir pour une seconde vie. Au bout se trouve Nestor, l’un des plus grands sites de la ville. Il est en sommeil depuis 2012. S’étendant sur cinq hectares, cet ancien fief du groupe Roudière fait aujourd’hui peine à voir. Les mauvaises herbes s’immiscent entre les graviers de l’immense parking désert, ainsi que le long des dalles de béton sur lesquelles venaient se ranger les camions de livraison, ou encore au pied des murs tapissés de volets descendus ou de vitres cassées.
D’imposantes cheminées, vestiges d’un passé textile en Pays d’Olmes. / Photo DDM Patrick Suilhard
Le site reste toutefois sous haute surveillance, car trop souvent visité par des pilleurs. Un site endormi, sans activité depuis des années, comme tant d’autres autour de Lavelanet, qui font office de boulets pour leurs propriétaires, obligés de s’en soucier sans qu’ils ne leur rapportent rien, sinon l’espoir d’un repreneur un jour, qui ne viendra pas si le tout est dans un trop mauvais état.
Les dangers de la mono-industrie
De la fin des années 80 au début des années 2010, l’activité s’est peu à peu délitée ici. Les emplois textiles se sont envolés par milliers, jusqu’à ne plus représenter désormais que 200 à 300 salariés, concentrés dans des entreprises qui se comptent sur les doigts d’une seule main. Les dangers d’une économie qui repose sur une mono-industrie sont parfaitement illustrés avec le textile du pays d’Olmes, qui n’a pas su voir venir la concurrence cannibale du marché chinois.
La cheminée du musée du textile, patrimoine en péril ? / DDM
Elle n’a pas su non plus créer d’identité forte, qui aurait pu fédérer autour d’elle. C’est ce que pense Angel. Enfant du pays, il a fait quasiment toute sa carrière dans le textile ariégeois, à Laroque-d’Olmes, jusqu’à sa retraite en 2004, quatre ans avant que son entreprise ne ferme boutique. Le sentiment de gâchis prédomine. "À un moment, je leur ai dit : on ne savait même pas pour qui on travaillait. Ce qu’on fabriquait, de grandes stars comme Brigitte Bardot le portaient, mais personne ne le savait, même pas nous ! On aurait dû le faire savoir…"
Marquer le Pays d’Olmes de cette industrie si précieuse et si caractéristique de ce paysage de moyenne montagne cisaillé çà et là par la percée d’une majestueuse cheminée industrielle, à quelques kilomètres du site de Montségur et de la station des Monts-d’Olmes, qui a vu s’épanouir Perrine Laffont, championne olympique de ski de bosses en 2018.
Tout un alignement de maisons tombent, comme la maison Guimbal. Les quartiers font peau neuve./ DDM
Se servir du passé
Aujourd’hui, le pays lavelanétien tente de renaître de ses cendres. Le textile a laissé sa place à un musée, comme à Carmaux, dans le Tarn, les mines ont laissé place à un pôle multiloisirs, ou comme celles de La Grand-Combe dans le Gard sont devenues un lieu touristique. L’industrie déchue a basculé dans la vitrine d’un passé glorieux, dont la communauté de communes du Pays d’Olmes tente de se servir pour rebondir.
"Depuis quelques années, les friches industrielles sont en cours de réhabilitation", explique Stéphane Sanchez, chef du service de développement économique de la communauté de communes, qui a pris ses quartiers… dans une ancienne usine textile, l’une des plus grandes de la ville, s’étendant sur 32 000 m2. Ici, l’argent public a servi à remettre dans un état convenable l’immense bâtisse, pour pouvoir y accueillir de nouvelles entreprises. "On a impulsé un mouvement, on essaie d’attirer les entreprises et on les accompagne dans leurs projets, avec dans nos atouts des loyers très bas au mètre carré, et une situation géographique loin d’être inintéressante, notamment pour ceux qui ont besoin d’un entrepôt logistique", résume le fonctionnaire ariégeois.
Spectacle au musée du textile et du peigne en corne / DDM, AC
Plusieurs entreprises y ont trouvé leur compte, et pas loin de cent personnes travaillent aujourd’hui dans ces locaux réhabilités, signe que le dynamisme industriel revient dans le Pays d’Olmes. "On a ce passé industriel qui nous sert, avec des habitants dont les familles savent ce que ça veut dire que de travailler dans l’industrie. On a la chance de pouvoir proposer un cadre de vie très agréable, et on sait maintenant qu’on a passé le point d’inflexion au tournant de l’année 2017. La démographie se stabilise, voire repart un peu à la hausse. On va de l’avant maintenant", se félicite Stéphane Sanchez.
Recyclage, chaudronnerie, ossature bois, sont autant de domaines qui ont trouvé leur place dans d’anciens sites textiles de la communauté de communes ces dernières années. Même l’immobilier commence aujourd’hui à s’intéresser à ces friches. Le Pays d’Olmes ne refera pas l’erreur de se concentrer sur un seul secteur. Il a appris de son passé pour mieux avancer.
Le choc des navettes rythme le temps à l'entreprise des Tissages cathares. / DDM, AC