Mobilisation pour les bistrots de campagne

31/12/2019

Mobilisation pour les bistrots de campagne
Publié le 26/12/2019 à 05:18 | La Dépêche du Midi | Dominique Delpiroux

L'édito : Trêve de comptoir

De nombreuses générations de Mirapiciens sont passées inévitablement par le café Castignolles. / DDM

Lorsqu’on poussait la porte, une tringle tirait sur un fil qui partait secouer une cloche, loin, très loin, dans l’obscurité mystérieuse et odorante de l’arrière-cuisine. Au bout d’un bon moment, la patronne apparaissait sous son tablier sans couleur, la mine renfrognée. Et on n’avait pas intérêt à lui réclamer autre chose qu’un pot de vin rouge, un Pernod ou un Byrrh, de toute façon, il n’y avait rien d’autre : les habitués, paysans, retraités, joueurs de belote, métayers ou mécanos, s’en contentaient. Il y a un demi-siècle, dans le moindre village, il y avait deux, trois, quatre ou cinq bistrots. Le maire, le métayer, le coiffeur, l’ancien combattant, le facteur partageaient quelques canons de corbières outrerouge dans des verres culottés. C’était autour du vieux zinc que s’organisait le quotidien d’une communauté.

Tout cela appartient au passé. Les petits villages ont les paupières closes et les vitrines aveugles. On ne s’y voit même plus passer en voiture. L’exode rural, l’essor des mobilités, l’accélération des modes de vie, les réglementations hygiénistes, les cascades de normes et de règlements, ont tiré le rideau des cafés, aux champs comme dans les villes. L’asphyxie d’une ancienne forme de relations sociales. Comme si on avait escamoté une partie de l’âme et de la mémoire des communes où l’on se cherche désormais sans lieu pour se retrouver.

Escamps : Le village revit avec l'Estanquet / DDM

C’est pourquoi beaucoup rêvent d’en finir avec cette trêve des comptoirs, et surtout, ancrer à nouveau un endroit pour la rencontre et l’échange au cœur d’une commune. L’aventure a été lancée par les Bistrots de Pays dans le Sud-Est, qui essaiment vaille que vaille un concept sympathique de café multiservice. Ces structures sont fragiles, elles ont besoin du coup de pouce des collectivités. Des municipalités qui sont souvent prêtes à s’engager pour raviver la petite flamme d’une activité au cœur d’un bourg susceptible de rendre de grands services notamment aux anciens. Dans cet esprit, on a forcément envie de trinquer à la réussite de l’opération "Mille cafés", qui veut ressusciter à la fois un embryon de commerce et de services en zone rurale, mais aussi une envie de ressusciter une communauté solidaire.

Il faudra des moyens financiers, le soutien des collectivités, mais surtout des hommes et des femmes prêts à relever le défi de ces nouvelles communautés. Depuis un demi-siècle, les rapports sociaux ont bien changé. Et les plus grands concurrents des "1 000 cafés" seront Facebook, Snapchat, WhatsApp ou Instagram, qui remplacent désormais la tringle, le fil et la cloche.

Publié le 26/12/2019 à 09:16 | La Dépêche du Midi | Philippe Rioux

Il faut sauver les cafés de nos villages

Le projet « 1000 cafés » a été lancé en septembre et concerne les communes de moins de 3 500 habitants./ DDM

Alors que des centaines de cafés de villages ont disparu ces dernières années, le groupe SOS a lancé, après plusieurs autres initiatives, un vaste projet "1 000 cafés" à destination des petites communes dépourvues de bistrot.
Au début des années 2000, le grand photographe Raymond Depardon avait sillonné la France au volant de son camping-car pour dresser un portrait du pays. Au fil de son trajet, les cafés de village l’avaient particulièrement marqué. "Cela dit tellement de choses, un café. C’est un lieu où on discute, on débat, c’est un des rares endroits ouverts, machistes. Ce que j’adore, dans les cafés, c’est leur nom. Le Penalty, Le Rallye, Le Café des sports, Le Marronnier, Le Bistrot des amis", confiait-il au Monde en 2005, soulignant combien le café des villages, le bistrot du bout de la rue ou le troquet du coin étaient consubstantiels à la France, sa culture, son patrimoine presque. D’ailleurs, France Boissons, qui refuse de voir disparaître les derniers cafés de nos villages, réclame l’inscription du café français au patrimoine de l’humanité de l’Unesco.

Palmas d'Aveyron - Le Bistrot du Pont a fermé ses portes : Fini le petit café du matin, terminé le pain frais, au revoir les bons petits plats, adieu l'accueil chaleureux, la bonne humeur et les sourires des gérants de ce petit café-restaurant qui était devenu l'âme du village. / DDM

600 000 bistrots en 1960
Car les cafés de villages sont à la peine. Il y avait 600 000 bistrots en France en 1960, il n’en restait plus que 34 000 en 2016… 26 000 communes françaises n’ont plus de cafés selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), qui a fait en 2018 sept propositions à destination du gouvernement pour endiguer ces disparitions.

Parmi les pistes évoquées : l’assouplissement des contraintes pour favoriser la transmission des entreprises ; le rétablissement des pré-enseignes dérogatoires pour les cafés, hôtels, restaurants ; ou encore une meilleure gestion des licences IV, qui permettent de vendre de l’alcool.

Les pouvoirs publics se sont aussi mobilisés pour sauver les cafés de villages, qui, parfois, dépassent largement leur fonction première et constituent l’unique commerce multiservices de la commune. Les opérations de revitalisation des centres bourgs prennent en compte cette dimension. Et de nombreux projets ont vu le jour comme "Mon café 2.0 – Le numérique au cœur des villages", lancé par la Banque des territoires pour "récompenser et accompagner un projet innovant de café en région, comportant une forte dimension numérique et favorisant à la fois lien social et attractivité économique de la commune".

Salvagnac - Inauguration du café «Au bord du monde» : «De mémoire de Salvagnacoise, disait une habitante du village, jamais autant de monde ne s'est réuni sur les allées Jean Jaurès.» / DDM

En septembre dernier, le groupe SOS – entrepreneuriat social qui regroupe des entreprises et des associations – a lancé une opération très forte : "1 000 cafés". Il s’agit d’un grand appel à projets à destination de 32 000 communes de moins de 3 500 habitants, afin de créer ou reprendre 1 000 cafés en milieu rural. Cette initiative est soutenue par le gouvernement dans le cadre de "l’agenda rural" voulu par Emmanuel Macron à l’issue du Grand débat.

Chaque café pourra "proposer un panel de services de proximité : dépôt de pain, épicerie, relais de poste, accès au numérique, services de mobilité", a détaillé Chloé Brillon, directrice du projet chez SOS. Les établissements, achetés ou loués par SOS, seront tenus par "un binôme" salarié par le groupe. L’initiative nécessite un "investissement de 150 à 200 millions d’euros", notamment pour la mise aux normes des locaux et le recrutement, dont une partie "sera financée en fonds propres et l’autre empruntée", selon Jean-Marc Borello, président du groupe SOS.

"Ce ne sera pas une franchise, ni une marque", avait insisté le fondateur lors du lancement du projet en septembre dernier, ajoutant que "les habitants définiront le lieu, la déco, le nom, et surtout à quoi va servir le bistro". En revanche, le groupe SOS fournira de l’ingénierie (montage de projets, formations, négociations avec les fournisseurs…) et de la recherche de partenariats au niveau national.
Pour candidater, rdv sur www.1000cafes.org

Monbéqui. Ouverture d'un commerce restaurant-bar-épicerie, «type bistrot» / Photo DDM-MV

57 candidats en Occitanie
Depuis septembre, le groupe SOS a reçu plus de 550 candidatures de mairies, ainsi que plus de 1 000 candidatures de particuliers, intéressés pour gérer un établissement. Une première liste de communes sélectionnées sera communiquée le 6 janvier. En attendant, on sait déjà que 57 mairies ont postulé dans la région Occitanie. Le détail par département : Lot (8), Aveyron (6), Lozère (1), Tarn-et-Garonne (1), Tarn (2), Hérault (7), Hautes-Pyrénées (8), Haute-Garonne (6), Ariège (6), Aude (10) et Pyrénées-Orientales (2).

Publié le 26/12/2019 à 05:18 | La Dépêche du Midi | Lucas Serdic

À Melles, le café, c’est le cœur et l’âme du village

Jérôme Rumeau a repris l’auberge du Crabère, seul commerce de Melles (31), en juin dernier./ Photo DDM, Lucas Serdic

Il y a toujours de la lumière à l’auberge du Crabère. En tout cas depuis que Jérôme Rumeau a repris l’établissement en juin dernier. Cet ancien employé de Denjean à Toulouse, où il a travaillé dans les ressources humaines pendant 18 ans, a tout plaqué voilà six mois pour revenir sur ses terres natales. "Je suis né à Saint-Gaudens bien sûr, mais j’ai véritablement grandi à Melles", explique-t-il avec une bonhomie évidente, toujours un sourire à la commissure des lèvres. "Ça faisait un moment que je songeais à me reconvertir."

Melles : L'auberge du Crabère a trouvé repreneurs (mai 2018) / Photo DDM, C.T.

Alors quand l’opportunité s’est présentée de reprendre le seul commerce de son village d’enfance, perché à la frontière de l’Espagne, dans les Pyrénées haut-garonnaises, il a fait le grand saut. L’établissement était fermé et sans activité depuis six mois. "Une période vraiment pas marrante", confie Vincent, un des propriétaires d’une maison de vacances dans la commune. Depuis 15 ans, il a pris l’habitude de venir presque chaque week-end avec sa compagne Véro et parfois l’un de ses grands fils, Douglas. "Depuis qu’on est installé au Pays basque, on vient moins souvent", nuance-t-il toutefois. Il n’empêche, il vient grossir la population de 88 âmes de la commune dès que l’occasion se présente, et ne peut que regretter les périodes où Melles à tristement vécu sans cet unique commerce pour égayer ses journées.

/ Photos FB, Auberge du Crabère de Melles

Dépôt de pain et point de vente
"Ça fait une énorme différence. Sans ce commerce, le village paraît mort. C’est pourquoi j’ai fait partie de ceux qui ont milité pour que Jérôme puisse reprendre l’auberge", se souvient Vincent, assis sur une petite banquette décorée pour Noël, adossé à la fenêtre du coin café. Le poêle réchauffe la pièce au pied de l’ancienne cheminée surmontée d’une TV. Autour de la petite table basse, ils sont quelques-uns à digérer là leur repas. Car Jérôme ne se contente pas de remplir quelques tasses, son auberge fait également bar et restaurant, et en tant que seul commerce du village, il ne s’arrête pas là. "On n’est pas encore boulanger, ça viendra sans doute, mais en attendant, on fait dépôt de pain. Dans les alentours, il n’y a quasiment plus de boulangerie". "On serait obligé d’aller en Espagne pour avoir du pain à l’auberge", renchérit Vincent.

Soirée à thème : Menu Jamon pan y tomate, Paella et melon d'Espagne

Entre alors une jeune femme blonde à l’accent prononcé. Après un salut collectif tout en sourire, elle se dirige vers le comptoir de Jérôme les bras chargés. Elle fabrique localement des produits (baumes, crèmes, etc.) pour le bien-être et en tend quelques-uns au commerçant. "L’auberge lui sert un peu de point de vente", explique l’homme de 46 ans en pointant un petit monticule fait de cagettes au-dessus du coin café. "Je fais ça gratuitement bien sûr, c’est pour rendre service." Comme beaucoup d’autres choses tel que le relais touristique qu’il essaie de représenter pour les randonneurs de passage en quête de la bonne promenade. En enfant du pays, Jérôme en connaît les moindres recoins. Et ça commence à se savoir.

Les sushis du chef

"De plus en plus de randonneurs s’arrêtent chez moi parce qu’ils ont entendu parler de l’endroit. C’est important le bouche-à-oreille." Et dans un lieu aussi reculé et isolé, c’est l’humain qui fait la différence entre un commerce qui marche et des rideaux définitivement fermés. "Ici, on vient parce qu’on sait toujours qu’on sera bien accueilli, insiste Véro. C’est la personnalité de Jérôme et de sa famille qui fait qu’on préfère venir boire un verre chez eux plutôt que de faire ça chez nous. Et quand on arrive le vendredi soir assez tard, on apprécie de pouvoir leur passer un coup de fil pour leur dire qu’on va s’arrêter manger. C’est toujours plus sympa que de devoir faire la cuisine."

Il reste encore de la garbure... Cuisson lente sur le poêle à bois.

L’auberge est toujours ouverte
Jérôme ne compte pas ses heures, du coup. "Pour l’instant, les jours de repos, on ne connaît pas vraiment", sourit-il. Les seuls moments où il ferme son auberge, c’est pour aller faire les marchés locaux, en quête de produits frais pour son restaurant. "Une cuisine simple, sans prétention, mais avec de bons produits", dont les gens de passage sont friands. Il n’hésite pas non plus à organiser des soirées à thèmes – Halloween, sushis, garbure – et à s’allier avec la commune lors de gros événements pour proposer ses services façon traiteur. Comme pour la Saint-Sylvestre à venir. "Il y aura une soirée spéciale à la salle des fêtes où on va nourrir pas loin de 50 personnes", se félicite ce bon vivant.

La diversification, c’est le critère désormais indispensable à la survie de ce genre de petits commerces, à taille humaine, où tout le monde se connaît et aime se retrouver. "Peu importe l’heure ou le jour, on sait qu’on trouvera toujours quelqu’un et porte ouverte à l’auberge", apprécie Véro. Il y a comme quelque chose de réconfortant, dans ce petit salon où finalement tellement de choses se passent. Et où irrémédiablement, c’est certain, le cœur de toute une commune continue de battre.

Publié le 26/12/2019 à 07:21 | La Dépêche du Midi | Frédéric Fatoux

«Des lieux dans lesquels la mixité sociale est exceptionnelle»

Hubert de Faletans, responsable de la branche restauration de l'UMIH 31 / DDM

Pourquoi est-il si difficile de faire vivre des petits cafés en zone rurale, et pourquoi ceux qui cessent leur activité ne trouvent-ils pas de repreneurs ?
Depuis plusieurs années, de nombreux villages se vident de leurs habitants, qui quittent la campagne pour se rapprocher de Montpellier, Toulouse, ou d’autres villes très attractives. Heureusement, dans certains départements d’Occitanie, des villages se redynamisent en même temps qu’ils se repeuplent, mais avec une population de néoruraux qui n’a pas la notion qu’on avait avant des commerces de village et ont d’autres façons de consommer. Ils vivent à la campagne sans y être réellement intégrés puisqu’ils n’y travaillent pas. Les tenanciers ou repreneurs de cafés et restaurants sont par ailleurs soumis à de nombreuses contraintes administratives (accessibilité, sécurité incendie, loi Evin…) et doivent mettre leurs établissements souvent vieillissants aux normes actuelles, ce qui coûte cher et durcit l’exploitation des lieux.

Fontiers-Cabardès : 40 ans à la tête du Club 620, une adresse incontournable dans la Montagne Noire au royaume des bistrots audois. / Photo DDM

Quelles sont les solutions pour que ces lieux ne disparaissent pas, voire réapparaissent ?
Les petits cafés d’antan, c’est fini ! Il faut aujourd’hui travailler sur la bistronomie, les circuits courts, privilégier les produits locaux, le fait maison pour attirer dans les cafés de village ces nouvelles populations. Tout le monde y gagnerait : les exploitants, les producteurs locaux, et les clients, de plus en plus en recherche de bons produits et d’authenticité. Il faut aussi que ces établissements réussissent à répondre aux besoins de leur clientèle, qu’on y propose d’autres services, le pain, l’épicerie, le relais poste, la réception de colis, etc.

Noé : Chouette ! Le village retrouve son bistrot / DDM

Quand vous habitez à 15 km d’Auch, dans un petit village isolé, et que vous allez faire vos courses en ville, mieux vaut ne pas oublier votre boîte d’allumettes ou vos chocolats ! Il faut donc amplifier l’intérêt des gens à s’y rendre, qu’ils aient la solution de faire moins de kilomètres et de trouver près de chez eux ce dont ils ont besoin. Il faut enfin multiplier dans ces endroits des initiatives qui rassemblent les gens. Lorsque vous y diffusez par exemple la Coupe du monde de rugby sur écran géant, les gens répondent présent. Lorsqu’on est dynamique et que l’on s’adapte à la clientèle, ça fonctionne. Tout ça, c’est l’avenir. Je suis optimiste, il est possible d’y parvenir, mais il faut se retrousser les manches.

Escamps : Le concert de Lune d'Elles fait le plein à à l'Estanquet, bistrot et restaurant du village repris depuis quelques mois / Photo DDM

Pourquoi est-ce important que les cafés de village survivent ?
Ils incarnent le lien social. Le bistrot à la française est un art de vivre. Dans le temps, avant ou après la messe, le curé, les notables et tous les habitants, quels que soient leur niveau social ou leurs idées politiques s’y retrouvaient et échangeaient. Ce sont des lieux dans lesquels la mixité sociale est exceptionnelle.

Le projet "1 000 cafés" va donc, selon vous, dans le bon sens…
Oui. Plus on donne aux gens de facilités commerciales, législatives et financières, et plus on verra de cafés refleurir dans nos campagnes. Toutes les initiatives sont bonnes à prendre pour faire revenir les gens dans les zones rurales et permettre leur redynamisation.

Arfons : L'Estaminet, feu vert pour la nouvelle saison / Photo DDM

Ce sujet a l’air de vous tenir particulièrement à cœur…
Je suis fils d’agriculteurs, donc la ruralité, je connais… Je suis aussi restaurateur (l’Esprit du Sud-Ouest, à Blagnac) et à la tête d’une entreprise de brasserie (les Frères Brasseurs, à Aucamville). J’ai donc une vision globale du sujet. Je vis à Cornebarieu (31), où il ne reste plus qu’un seul bistrot pour 6 500 habitants. J’ai toujours aimé fréquenter ce genre d’endroits. Quand je voyage, je préfère prendre les chemins de traverse pour m’arrêter dans les villages boire un café au bistrot du coin. Ça change des aires d’autoroute…

Saint-Savin : Chez Marcelle et Paul renaît / Photo DDM, J.G.