Carnet de route : en suivant l'ancienne RN 113

28/7/2014
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      Carnet de route RN113 (1/6)      


La RN 113 dans la traversée de Podensac / CPA

De Narbonne à Bordeaux, la RN 113 était autrefois l'axe principal reliant la Méditerranée à l'Atlantique. Mais les autoroutes, le déclassement des nationales en départementales et les mutations économiques ont fait d'elle un itinéraire «bis». La 113, c'est désormais de la nostalgie, certes, mais aussi un certain temps retrouvé : celui de flâner.

Publié le 15/07/2014 à 08:10  | La Dépêche du Midi |  Pierre Challier

RN113 : la Nationale buissonnière... c'est aussi la route du vin

Serge Chapman, 53 ans, pompiste et l'un des deux garagistes du village /Photo DDM, P.C.


Sur la carte Michelin, le cap au sud se résumait autrefois en trois goulots rouges au goût de bouchons. La mythique Nationale 7 de Trenet, «route des vacances» dans le Midi qui allait de Paris à l'Italie via la Côte d'Azur, la «tragique» RN10 dont les accidents ensanglantaient l'été entre la capitale et la frontière espagnole, à Hendaye, et la discrète RN20 entre les deux qui filait jusqu'à Foix, Bourg-Madame.

Et puis, comme chaque fois qu'on est trois… il y avait évidemment le quatrième mousquetaire : cette diagonale de la Méditerranée vers l'Atlantique qui reliait Trenet à Montaigne via Nougaro en longeant canal du Midi et Garonne, la RN113…

Laquelle marche aussi dans l'autre sens… lorsqu'on l'attrape aujourd'hui encore Barrière de Toulouse, à Bordeaux, quand bien même elle a perdu ses bornes rouges et son «N» au profit d'un «D» sur fond jaune, ayant été “décentralisée” en 2006, donc départementalisée en D1113. Mais qu'importe.

Récolte d'un grand cru dans le bordelais / RelaxNews  -  AFP PHOTO JEAN-PIERRE MULLER

Premiers platanes…
Quelques pins maritimes comme une promesse de plage, là-bas, par dessus les fumées d'échappement, au débouché de la banlieue bordelaise et, déjà, premiers platanes, premières vignes qui la bordent avant Beautiran : une route qui commence par traverser Graves et Sauternes en saluant Montesquieu au passage ne peut pas être mauvaise. «Oui, c'est la “Route des Vins”, de Bordeaux à Langon», confirme à la sortie de Portets, Pierre Cante, 54 ans, qui y produit le Château Graveyron sur la propriété, «familiale depuis neuf générations», et dont les vignes s'étendent «entre la voie ferrée Bordeaux-Sète et la 113», précise-t-il.

La 113, justement ? Durant des décennies, elle a rythmé la vie du domaine. «Gamin, j'y jouais au foot avec la porte de la grange pour but, on y faisait du patin à roulettes, aussi. Il y avait surtout des charettes et le soir, c'était l'attraction, on discutait au bord de la route en regardant passer les rares voitures», se souvient son père, Henri Cante, 86 ans, qui y a «vu arriver les Allemands».

Puis l'âge d'or est venu après la guerre… Pour les gosses «avec les roulements des camions qui pétaient et nous qui en ramassions les billes», pour les vignerons, aussi, «quand on a commencé à mettre en bouteille pour la vente», poursuit Henri. Cette époque bénie ? Avec les Trente Glorieuses triomphait l'automobile à bord de laquelle la France partait désormais en week-end et en vacances.

Voitures populaires des années 1950-1960 exposées par l'AVAG / Photo DDM

Voitures à papa
Peugeot 202, 203, 403, 404, 2 CV Citroën, ID et DS, 4 CV, Renault 8 Gordini, Simca Aronde et girondes, Ford Mustang… Astiquées, elles sont là, les voitures à papa. Mais en miniature. «Et tous ces modèles en maquette dans ma vitrine, j'ai roulé dedans», résume fièrement Serge Chapman, 53 ans, pompiste et l'un des deux garagistes du village à qui un historien a même rendu visite pour recenser sa station, avec son toit en forme d'ombrelle sur ses pompes à l'ancienne, registre patrimoine du XXe siècle (photo ci-contre)…

Architecture d'une époque révolue où «les touristes s'arrêtaient pour déguster et acheter une caisse», se souvient Pierre, tandis que la nationale irriguait sur ses flancs toute une vie de restaurants, d'hôtels. Monsieur conduisait. Madame consultait l'oracle Michelin. Et comme la malédiction du joint de culasse hantait encore les moteurs, en ces années à vitesse non contrôlée, sans ballons à souffler ni ceintures de sécurité… «On travaillait bien», résume Bernard Couret, 50 ans, ayant pris le relais de son père Roland, dans l'autre petit garage, face à la propriété Cante.

«Pas un platane ou un tilleul argenté qui n'ait eu son accident, ici» se rappelle en écho Pierre, qui un jour s'est vu arracher 60 pieds de vigne par une voiture folle. Et puis en 1975, l'autoroute A62 a été inaugurée.

«Toutes les stations ont pleuré, imaginez quand un poids lourd s'arrêtait faire le plein !» reprend le garagiste dont le chiffre d'affaires baisse «chaque année». «ça l'autoroute nous a soulagé du trafic, mais elle nous a “soulagé” du commerce aussi» ironisent Pierre et son père. «Tous les stands de dégustation en bord de route ont disparu», soulignent-ils «et la nationale n'est désormais plus qu'une longue rue entre Langon et Bordeaux, une artère de banlieue limitée à 50, 70, farcie de radars et de ralentisseurs…»

Une cave de vins de grands crus de Bordeaux dans le Sud-Ouest Pierre Andrieu  /  AFP

D'un château à l'autre
Certes, le château de La Brède n'est pas exactement sur la 113, mais il est à proximité sur la D108 et c'est donc l'occasion ou jamais de passer saluer Montesquieu qui naquit en ces murs gothiques entourés de douves et rédigea là, entre autres, son œuvre majeure De l'Esprit des Lois. Renseignements pour les visites au 05 56 78 47 72. Ensuite, on traversera donc graves et sauternes pour rencontrer un autre prestigieux château : le château d'Yquem, lequel, monument historique doit surtout sa réputation mondiale à son vin liquoreux, le Château d'Yquem étant le seul sauternes classé premier cru supérieur.


     Carnet de route RN 113 (2/6)     

Publié le 16/07/2014 à 08:26  
 | La Dépêche du Midi |   Pierre Challier

Petite brocante des souvenirs et des bornes passées


Mais où sont passées les bornes «à l'ancienne» ? / Photo DDM

Mais où sont passées les bornes «à l'ancienne» sur la 113 ? Bonne question… Balade aujourd'hui de la Gironde au Lot-et-Garonne sur la nationale déclassée qui porte encore les traces d'une insouciance estivale révolue…

Tout de même… il doit bien en rester au moins une, non ? Une belle borne en pierre, coiffée de rouge qui porterait encore fièrement son N113 et ses kilomètres ? L'ancien de la Direction départementale de l'équipement de Gironde secoue tristement la tête… «Non. à ma connaissance dans le secteur, elles ont toutes été changées.»

Quelque part sur la 113 en direction du Lot-et-Garonne. Des heures à scruter les bas-côtés… mais les faits sont là. Déclassée en départementale, feue la nationale n'est désormais plus jalonnée que de tristes bornes plates à tête jaune. «C'était plus pratique pour faucher les talus», commente un riverain. Mais «c'est aussi la disparition d'un petit patrimoine dont tout le monde se fout», regrette l'ancien. Les bornes de pierre ? «Les gens se les sont embarquées pour leur jardin ou elles ont été bazardées», résume-t-il alors. Néanmoins fier d'avoir pu sauver quelques “trésors” avec les copains, rêvant de bientôt pouvoir les restaurer pour raconter la mémoire de ceux qui faisaient la route, au sens premier du terme.

Vieilles gravillonneuses orangées, bidon de goudron d'une asphalteuse en forme de charrette à bras qui servait à rapiécer encore et encore cette chaussée… «La nationale n'a jamais cessé d'être rehaussée. Chaque fois qu'elle était refaite c'était une épaisseur de plus. Vous n'avez qu'à regarder la fenêtre au ras du bitume pour constater», pointe Joseph, la soixantaine, depuis son portillon désormais bien en contrebas des poids lourds, à Nicole.

Balades sur la Garonne pour découvrir l'histoire du fleuve à Couthures ./Photo DDM PB

Oh oh, Nicole…
Langon, La Réole, un D1113 “kilomètre zéro” matérialisant la frontière entre Gironde et Lot-et-Garonne, puis la D 813 par Marmande et Tonneins pour d'agréables lignes droites pointillées d'ombre et de lumière sous la nef gothique des platanes et maintenant le petit village de Nicole, donc… Réveillée par les vestiges de publicités qui rythmaient autrefois de leurs promesses d'apéros ensoleillés et d'insouciance estivale les murs de cette voie des suds entre deux mers, la nostalgie ne peut que faire étape ici.

Oh oh Nicole souviens-toi/Oh Nicole Nicole/Oh oh Nicole d'autrefois/Une petite gare/Au pied d'un coteau/Un clocher qui sonne/Une grande maison/

Au cœur des ormeaux/Près de la Garonne… chantait ainsi Hugues Aufray, il y a plus de 40 ans, évoquant après Santiano ses tendres années lot-et-garonnaises.

De fait, «sa grand-mère habitait en face et lui y venait en vacances enfant», précise Joseph pour qui la 113 n'évoque aucun rêve au long cours, son seul refrain quotidien se résumant à «un bruit incessant». Grondement qui ne réussit cependant pas à couvrir l'histoire que raconte le paysage, la vallée vue de la route.

Marmande, la commune vire au rouge pour la bonne cause.../Photo DDM PB

La bouteille à 1 200 francs par an
Depuis beau temps les vignes du Bordelais ont passé le relais aux séchoirs à tabac, aux maraîchers, aux vergers. «Fraises, pommes, kiwis, poires, pêches, brugnons, abricots : on a de tout ici», liste à présent Téodosio Juarez, 71 ans, qui regrette de n'avoir pas trouvé à s'embaucher pour la récolte, cette année. Ce qui a motivé l'arrêt chez lui, à Clermont-Dessous, quartier «Lapouleille-ouest» ? Justement… cette publicité encore bien préservée de Saint-Raphaël sur sa maison. Ah ça ! ? «C'était payé 1 200 francs par an. Il y a 30 ans, ça mettait du beurre dans les épinards» sourit-il.

Plus loin ? Un Esso rouge dans son ovale bleu s'efface tranquillement derrière un rosier. «Et ce genre de truc, ça disparaît dans l'indifférence», confirme Stéphane le Taillandier de Gabory. Qui sait de quoi il cause.

Sur le trottoir d'en face, il a en effet installé son Paradis du Chineur, bestiaire d'antiques espèces rares en peau de zinc, cuir de céramique et squelettes de fer forgé, inventaire encyclopédique de ces je-ne-sais-quoi et presque rien qui ressuscitent les fantômes d'une époque, au gré d'un fume-cigarette, d'un chapeau cabossé, d'un sautoir suranné.

Lui se souvient bien avoir eu entre les mains une plaque kilométrique 1900, «mais c'est une fois tous les 15 ans», note-t-il. Car pendant longtemps, «tout est parti au poids chez le ferrailleur», explique Stéphane, heureux d'avoir pu sauver de la benne un vieux parcmètre, il y a quelques jours.

La 113 ? C'est plutôt les vestiges de ce qui roulait dessus qui passionnent le chaland. Mais «une vieille plaque émaillée Citroën, c'est introuvable», à l'inverse de ce vieux cendrier Ricard, là. De la croisière jaune à la croisière du jaune ? Fugace vision de chevrons, de Traction, de petit verre sur un guéridon au bord de la nationale disparue… Mais il est temps de repartir : la première «vraie» borne est encore loin qui marquera demain l'entrée en Tarn-et-Garonne (photo).


Agen : à vélo, au rythme tranquille du canal. /Photo DDM Jean-Michel Mazet

Ports et pont
Difficile de faire un choix de visites au fil de la 113 entre Langon et Agen. Mais il y a évidemment Saint-Macaire, pour commencer, d'où l'on pourra aller saluer la tombe de Toulouse-Lautrec, enterré à Verdelais, puis La Réole, Marmande, Tonneins, Aiguillon ou Port Sainte-Marie. On peut en profiter aussi pour explorer la rive gauche où les villages de charme ne manquent pas. Puis à l'entrée d'Agen, on admirera le pont-canal qui permet de faire passer la navigation au-dessus de la Garonne.


     Carnet de route RN 113 (3/6)     

Publié le 17/07/2014 à 08:21  
| La Dépêche du Midi |  Pierre Challier

L'ancien abattoir est devenu l'étape obligée des camping-cars

Lynn et Bruce Jenkins, touristes australiens conquis par le réseau français, la 113 et l'aire d'accueil de Valence d'Agen./Photos DDM, P.C.

En bordure de la 113, les hôtels désormais fermés sont plus d'un. Parce qu'il y a moins de passage ? Ou parce qu'on ne voyage plus aujourd'hui comme hier ainsi que le démontrent les amateurs de camping-cars ?

Ils s'appelaient Le Toulousain, Le Terminus. S'affichaient «recommandé… V.R.P.» avec un chef en toque, rondouillard et souriant, sur la publicité en bord de route. Mais les R16, 504 et DS ont depuis longtemps déserté leurs parkings. Blanc d'Espagne… L'hôtel est fermé. D'ailleurs, plus personne ne dit «Voyageur Représentant Placier» au commercial qui s'arrête désormais pour une nuit standardisée en périphérie…

«Nous, on a fermé nos huit chambres en 2010 pour ne garder que le bar et le restaurant. On proposait la nuitée à 40 €, mais avec les nouvelles normes, il aurait fallu tout refaire. Trop cher… Alors on a arrêté», confie Bernard Lambert, 56 ans, qui tient Le Plaisance à la sortie de Nicole.

Chez lui ? «L'hiver a été rude. Je sors de huit mois de travaux sur la 113. Certes, l'entrée du village est plus sympa maintenant qu'elle a été refaite et on peut se garer, mais la nationale n'apporte plus rien : il y a de plus en plus de camping-cars et on tourne surtout avec le local», constate Bernard.

Pont en «corde d’arc» sur le canal, caractéristique des années 1930, près de Valence d'Agen / Photo DDM

La 113 en fil rouge entre deux mers
De plus en plus de camping-cars donc de moins en moins de chambres à louer ? «Oui» Autrefois ? Ah, autrefois la berline familiale ou la voiture de retraités en transit s'arrêtait déjeuner, dîner, coucher. Tandis qu'aujourd'hui les mêmes, toujours plus en forme toujours plus voyageurs, préfèrent transporter leur cuisine et leur lit au gré de leurs envies. Et transforment de fait les habitudes de consommation, irriguant différemment les bords de la 113.

«Nous, on vient de Saint-Flour dans le Cantal et pour visiter, on suit notre instinct. Mon mari Jean-Louis étant à la retraite, je le suis», résume ainsi Monique Gibrat, 56 ans, comme ils font ce jour étape dans le Tarn-et-Garonne avec leur camping-car, à l'aire de Valence d'Agen, au bord du canal latéral de la Garonne. C'est-à-dire sur l'un des “spots “les plus côtés des connaisseurs depuis que la 113 est devenue un fil rouge, l'itinéraire favori des Bavaria, Chausson et autres Adria entre Atlantique et Méditerranée.

«La 113, c'est plus touristique, c'est la découverte du paysage, des produits locaux. Et puis dans son métier, mon mari faisait de longs déplacements, aujourd'hui, l'autoroute il en a marre», poursuit Monique.

Cette halte ? «On l'a connue par le bouche-à-oreille et c'est vraiment le top. Elle est juste à côté de la piste cyclable où on fait du vélo en longeant le canal. On s'y donne même rendez-vous entre amis. Il n'y a qu'à voir le monde ! Il y a des douches, des toilettes, un coin cuisine nickel, on peut recharger en eau et, rare, tout est gratuit ! Sauf pour l'électricité, mais c'est normal et ce n'est que quelques euros», s'enthousiasme Monique avant de rejoindre Raymonde, à la cuisine, dans l'ancien abattoir (photo) dont la rénovation rehausse le cachet.

Valence d'Agen : "Au fil de l'eau"… une histoire, un spectacle magique et surprenant /Photo DDM, Michel B.

Côte de bœuf et confitures
Raymonde ? Celle justement qui leur a révélé l'endroit. Elle a 64 ans et ancienne restauratrice en Seine-Maritime, voyage toute l'année. «Seule parce que j'aime ma liberté», explique-t-elle, tandis que cuisent une côte de bœuf et ses… confitures d'abricot.

«Valence, c'est aussi l'idéal pour ça. C'est joli avec le lavoir, les halles, il y a plein de choses à visiter, les gens sont sympas et ici les fruits et les légumes sont supers au marché. Mes abricots, je les ai payés 1 € le kilo alors j'en profite pour faire des pots. L'important, c'est aussi de faire travailler les producteurs, les commerçants locaux», poursuit-elle.

Au point d'eau, un conducteur fait le plein. Un faux air de Pierce Brosnan, ancien James Bond… Mais il n'est ni acteur ni Irlandais. «Nous sommes Australiens, de Perth, et avec ma femme Lynn, nous sillonnons l'Europe», précise en souriant Bruce Jenkins, 60 ans.

Ils ont fait le Portugal, l'Espagne, viennent de voir Gavarnie, Toulouse, et longent le canal pour rallier Bordeaux via la 113. Bilan ? «Les Français ont beaucoup de chance d'avoir des routes comme ça, fantastiques pour ceux qui les prennent et pour le tourisme, au niveau du service. Vous êtes même tellement en avance pour l'accueil des camping-cars ! Ici ? C'est fabuleux, tout gratuit…», s'émerveille Bruce. Visiblement conquis par cette exception culturelle française qui pense encore à l'usager quand «ailleurs, on est que des clients».

Auvillar, halle circulaire / Photo DDM

Canal et monuments
Dans le Tarn-et-Garonne, la 113 est un fil conducteur pour de nombreux sites, monuments et départs de balades. à partir de Valence d'Agen où le visiteur flânera place Nationale, place du Colombier et jusqu'à l'ancien lavoir, l'on peut longer à vélo le canal dont la voie cyclable va jusqu'à Castets en Dorthe (33). Mais surtout, à cinq kilomètres de la Vélo Voie Verte, on ne manquera pas Auvillar, l'un des plus beaux villages de France, avec sa halle circulaire, sa tour de l'Horloge et son quartier des Mariniers.


     Carnet de route RN 113 (4/6)    

Publié le 18/07/2014 à 08:10  
| La Dépêche du Midi |  Pierre Challier

Au bord de la grand-route, la pétanque garde ses droits

Tous les mercredis après-midi, la pétanque est reine au bord de la 113, à Pommevic et l'intense trafic ne trouble pas les joueurs./Photos DDM, P.C.

Aujourd'hui ? Eh bien l'on reste dans le Tarn-et-Garonne, à Pommevic précisément… Car là, au bord de la 113, il y a le café Le Drop. Lieu de rendez-vous incontournable pour les pèlerins de Saint-Jacques mais surtout pour la Pétanque Pommevicaine… impavide face au trafic incessant.

La question est grave. «Pointeur ou tireur ?», interroge Simon Martinet, concentré devant la feuille sur laquelle il assemble ses doublettes. «Pointeur» répond le joueur en tendant 3 € pour l'inscription, ses trois boules dans l'autre main. Un mercredi à l'heure du café sur la terrasse du Drop, au bord de la 113…

Assis à une table sous la treille, la coquille Saint-Jacques en évidence sur leur sac, des pèlerins arrivés de Moissac et en route pour Compostelle finissent leur verre en jetant un dernier œil à la carte. Profitant de l'occasion un habitué honore la patronne d'un souriant «Je vous salue Martine pleine de grâce» avant de commander. Et Martine se multiplie donc pour faire apparaître les expressos comme à présent affluent les boulistes de 9 à… 87 ans, âges respectifs de Hugo et d'Henri, le petit dernier et l'aîné.

Car voyez-vous, Le Drop et son rendez-vous hebdomadaire de la Pétanque Pommevicaine, ce n'est pas rien. Sur l'écran télé du café, Fanny Ardant peut bien vivre toutes les tumultueuses amours qu'elle veut… Elle n'intéresse personne. C'est dehors qu'a rendez-vous la vraie passion. Sur l'esplanade qui surplombe la 113 et sert depuis des décennies de boulodrome aux amateurs, indifférents au tumulte des voitures, caravanes et camions.

Pétanque à Valence d'Agen / Photo DDM

La fortune est au bout…
«Tous les mercredis, notre tournoi amical commence à 15 heures. Il y a trois parties et chaque partie gagnée rapporte 2 €, celui qui gagne tout peut donc doubler sa mise soit 6 €, vous vous rendez compte de la fortune !», s'amuse Simon Martinet.

Et un rendez-vous qu'ils sont donc plus d'une trentaine à ne manquer pour rien au monde, à l'ombre des arbres. Qu'ils soient simples joueurs des alentours. Ou qu'ils portent l'officiel polo bleu à écusson de la Pétanque Pommevicaine, club objet de longues fidélités.

Témoin Henri Chaloupy… «J'ai pris ma première licence à 20 ans, j'en ai 87», décompte-t-il. Et «le club, je l'ai toujours vu ici au bord de la nationale 113 avec son siège au Drop».

Les équipes sont maintenant constituées. Mixtes pour quelques-unes, des dames étant également abonnées. Ou joyeusement attelées comme la carpe et le lapin pour d'autres. Mais toujours complices. Et le temps s'arrête soudain en une belle et éternelle après-midi d'été, avec les premiers cochonnets, buts, bouchons et petits qui roulent puis ces étranges systèmes planétaires d'acier bosselé qui viennent graviter autour d'eux, au gré des boules plombées ou tirées.

Sur le chemin de Compostelle / Photo DDM

Convoi exceptionnel pour… Kiev
Sur son convoi exceptionnel passe un gros bateau en partance pour… Kiev. Dans l'indifférence générale. Puis une procession de poids lourds. Le terrain tressaute. Des freins crissent comme une craie au tableau noir… Peu importe. «Tu joues droit», commande Roland. «Mais attends que je te dise !», s'énerve Pierre. «Voilà, là, là, là… c'est bien» freine une autre voix pour faire le point. Tandis qu'un quatrième égare sa boule aux nervures effacées dans une partie voisine, plongeant chaque propriétaire dans la perplexité. Le bruit de la 113 dans tout ça ?

«On y est habitués», répondent-ils tous. Les plus anciens voyant même un avantage à la nationale… «Il y a le feu rouge, là, ça s'arrête, et des fois, ce sont des connaissances au volant, alors on discute…» Façon, de dire comment, ici, tout ce qui roule sur le sable ou le bitume se croise dans la convivialité, «même si pour la fête de Pommevic on ne danse plus sur la route comme autrefois», regrette Henri.

Au comptoir du Drop, les parties étant lancées, le calme est revenu. L'occasion de recenser les drapeaux accrochés à la treille. Catalogne, Corse, Savoie, Bretagne, Midi-Pyrénées… «C'est pour les “Compostelle”», explique Martine, «les pèlerins apprécient lorsqu'on représente leur région et moi aussi, je le fais, le chemin, deux semaines par an».

Un randonneur entre. Le GR ? «Vous sortez du village et au fond à gauche», lui indique-t-elle. «C'est énorme tous ceux qui marchent. Personnellement, je travaille un peu avec le local mais surtout avec le passage», note-t-elle. Passage qui recompose un nouveau paysage de marcheurs, cyclistes, plaisanciers, camping-caristes, autour de la 113, passants à qui l'on a soudain envie de dire en regardant rouler les boules : «Arrêtez-vous. Cet après-midi, le bonheur, il est là.»

Moissac : Depuis les jardins du Carmel, la vue sur l'abbatiale Saint-Benoît est imprenable./ Photo DDM.

Saint-Denis et Moissac
A Pommevic, on en profitera pour découvrir l'église Saint-Denis, autrefois liée à Moissac. Moissac où l'on ne pourra que s'arrêter, 15 kilomètres plus loin, toujours sur la 113. Passage obligé sur la route de Compostelle, Moissac est synonyme de joyau de l'architecture médiévale puisqu'on peut y admirer l'ancienne abbatiale Saint-Pierre et son cloître merveilleusement conservé, richesses historiques, artistiques et culturelles inscrites depuis 1998 au Patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO.


     Carnet de route RN 113 (5/6)     

Publié le 19/07/2014 à 08:12  
| La Dépêche du Midi |  Pierre Challier

Du cirque et de l'exceptionnel sur l'ancienne voie romaine...

Les cirques empruntent régulièrement la 113, pour des raisons économiques mais aussi pour s'arrêter plus facilement./Photos DDM, P.C.

Vous n'avez pas remarqué ? Mais si… Tous ces convois exceptionnels qui empruntent la 113. Et qui ne sont pas les seuls habitués hors-norme de l'ancienne nationale. Car on y croise aussi des cirques et de l'antique…

Au bord de la route, il y a un éléphant. Une girafe. Et la tête de l'Auguste devant le Clown blanc qui éclate de rire. Au chevet de leur camion et les bras noirs de cambouis, “Tutuche” et “Pelo” aimeraient bien en faire autant. Sauf qu'en l'occurrence, côté éclats… «C'est deux roues qu'on a d'éclatées sur la remorque à cause de la chaleur», expliquent-ils. Incident de parcours qui bloque donc tout le Star Circus, son convoi de dix poids lourds et sa ménagerie publicitaire sur la 113, entre Pompertuzat et Montgiscard, après Toulouse. Comme s'il avait besoin de ça en plus, le Star Circus…

«Parce que nous, on est un cirque familial de douze personnes avec juste un chapiteau de 150 places qu'on a de plus en plus de mal à remplir tandis que le gasoil, lui, ne baisse pas», confie l'acrobate. Qu'on pourra applaudir où, si on est encore dans le coin, demain ?

«Pas ici. Car en fait, on est basés à Bordeaux et on remonte vers Royan pour le début de la saison d'été. Là on est partis de Romans, dans l'Isère et on doit faire étape à Saint-Jory, mais je ne sais pas si on va y arriver ce soir», explique Pelo. Qui s'inquiète. Puisqu'il est déjà bientôt 19 heures et que ça va devenir compliqué de rallier le parking de l'escale.

Cette fameuse 113 donc ? Elle est leur voie obligée, en fait, lorsqu'ils remontent de Midi-Pyrénées vers l'Aquitaine, ou redescendent vers le Languedoc-Roussillon et au-delà… «parce que nous, les cirques, on a toujours pris les nationales, vu qu'on ne roule pas assez vite pour prendre l'autoroute», précise Pelo.

Les animaux du cirque attirent toujours les enfants / Photo DDM

Convois et gyrophares
Dont le propos est immédiatement confirmé par le long cri d'une corne brume se prenant pour un klaxon ou l'inverse… Comme défile à présent le cirque A.Fratellini et ses énormes camions qui les saluent d'autant plus vigoureusement, les collègues du Star Circus… «qu'on leur était passé devant», reconnaît Tutuche.

De fait, la 113, c'est aussi la route de l'exceptionnel en tous genres, à commencer par celui des convois et de leurs gyrophares. Yachts, éléments d'avions, silos et autres grosses structures agricoles, transports militaires hors gabarits ou immense pelleteuse au cou couché inerte façon tyrannosaure entravé sur sa plateforme… qui se croisent ou se doublent donc, à longueur de journées, depuis le départ…

Bref, un axe majeur tel qu'elle a toujours été et qui en a vu défiler depuis 2000 ans, la 113, se rappelle-t-on alors. Comme arrivé à Baziège revient en mémoire qu'à partir d'ici, elle se confond pratiquement avec l'ancienne voie romaine, cette via Aquitania qui ralliait Narbonne à Toulouse via Carcassonne. Et que la Sainte-Pierre en témoigne en l'église Saint-Etienne.

La Sainte-Pierre ? Une colonne milliaire, c'est-à-dire l'une de ces bornes de l'Empire romain qui jalonnaient les voies tout les 1,481 kilomètre… Dédiée à Galère, celle-ci fut reconvertie en pierre aux propriétés miraculeuses, notamment pour les rhumatisants, après avoir servi de poteau d'exécution lors du martyr d'un jeune chrétien l'ayant ainsi arrosée de son sang. Aujourd'hui ? L'occasion de redécouvrir la table de Peutinger et ses itinéraires romains, à l'époque où la suite de la route vers Narbonne s'appelait Sostomagus, Castelnaudary aujourd'hui.


Sur les vestiges de la voie romaine qui passe à Bazièges./ Photo DDM, P.C.

Milliaires
En quittant Toulouse par la 113, on pourra donc choisir de suivre la thématique de l'ancienne voie romaine et découvrir, par exemple, une autre borne, à Ayguesvives, à l'extérieur de l'église. La via Aquitania était l'artère maîtresse du réseau toulousain et il fallait une journée de marche pour aller de Toulouse à Naurouze. De Toulouse à Bram, son tracé coïncide pratiquement avec la 113, sauf entre Baziège et Montgiscard.


     Carnet de route RN 113 (6/6)     




Obélisque de Riquet : travaux sur les bas-reliefs 
/Photo DDM




La Via Domitia, traverse Narbonne en plein centre ville et a été «immortalisée». / Photo DDM, JMG



Carcassonne. La vente directe fleurit sur les ronds-points 
/Photo DDM



Le canal de la Robine à Narbonne./Photo DDM, JMG.
 

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Commentaires :

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  • Agathe dit :
    08/8/2019 à 7h 05min

    Bonjour, je viens de tomber sur votre blog, en farfouillant le net à la recherche de renseignements sur cette 113 et je me suis régalée à vous lire! Quelle nostalgie en effet avons nous de ces nationales, en tout cas pour moi qui les ai sillonnées étant petite dans l'auto de mes parents lorsque nous partions en vacances! Les plus jeunes aujourd'hui ne connaissent pas puisqu'il faut aller vite! J'ai pris cette 113 il y a quelques années pour aller de Bordeaux à Toulouse et j'ai fait la découverte de superbes petits villages. Je comprends que certains ont dû être ravis de ne plus avoir ce flux et reflux de la circulation, du bruit et de tous les inconvénients qu'apportaient ces nationales, maintenant il faut les redécouvrir, tranquillement, prendre son temps, ces "départementales" ne sont pas faites pour les gens pressés. Merci à vous

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