Publié le 07/11/2013 à 09:17 | La Dépêche du Midi | Philippe Rioux
Commémoration : il y a cent ans, la Grande guerre
Les militaires mobilisés prennent le train pour le front./Photo DDM
Le président de la République donne aujourd’hui 7 novembre le coup d’envoi des cérémonies marquant le centenaire du début de la première Guerre mondiale. Durant cette année - puis jusqu’en 2018 - de multiples initiatives célébreront le souvenir de ce conflit qui a meurtri les villes et les campagnes de France.
C’est une page d’Histoire dramatique, douloureuse et fondatrice ; une page dont il ne reste plus guère de témoins directs ; une page qui s’inscrit dans le marbre et la pierre de monuments présents dans chaque ville et village de France ; une page si lointaine et pourtant si proche à la fois ; une page pour laquelle s’ouvre aujourd’hui une année de commémorations.
Bois de la Jaufée bombardé - Juin 1916
De multiples initiatives, publiques et privées, vont être organisées tout au long de l’année, coordonnées par la Mission du centenaire, un groupement d’intérêt public créé en 2012 par le gouvernement.
Dotée d’un conseil scientifique international, d’un comité des mécènes et d’un comité des communes pour le Centenaire, la Mission, dirigée par Joseph Zimet, va orchestrer de grands temps forts jusqu’en 2018. Surtout, elle va impliquer les Français dans ce vaste devoir de mémoire collective.
Une grande collecte nationale
Du 9 au 16 novembre, la Mission lance, en effet, «La grande collecte». Cette opération, inédite par son ampleur, consiste à demander aux Français d’ouvrir leurs archives familiales relatives à la Première Guerre mondiale en amenant leurs documents d’époque auprès de quelque 70 points de collecte répartis sur tout le territoire, essentiellement les Archives départementales, mais aussi des bibliothèques municipales, etc.
«Ils y seront accueillis par du personnel compétent qui les accompagnera dans leur démarche, en jugeant avec eux de l’intérêt du document, en prenant en compte leur histoire personnelle et en numérisant tout ou partie des pièces. Les documents numérisés seront ensuite disponibles sur le site d’Europeana, où ils constitueront une base de données virtuelle européenne de souvenirs de la Grande Guerre», explique la Mission.
Transmettre aux jeunes générations
Cette masse de documents constituera un formidable corpus pédagogique. Car derrière la commémoration et le souvenir, il y a la nécessaire transmission. Ce conflit «doit être rendu compréhensible aux élèves qui, femmes, hommes, citoyens en devenir, devront en porter le legs aux générations suivantes», explique Alexandre Lafon, conseiller pédagogique de la Mission du centenaire. «Il s’agit donc de faciliter la transmission des mémoires de la guerre et son histoire. Elles disent toutes la violence de la guerre, la difficile construction de la paix en Europe, la valeur de la vie, mais aussi la résistance de la République, malgré tout, aux bouleversements induits par le terrible conflit.»
L’année à venir aura donc des implications en termes de mémoire, de transmission… mais aussi politiques.
Ravin du Bazil - Verdun : dans une tranchée sous la neige
Publié le 07/11/2013 à 07:53 | La Dépêche du Midi | Rémy Pech
Notre région dans la guerre
Poilus dans un hôpital
L’assassinat de Jaurès, le 31 juillet 1914, fut profondément ressenti dans notre région, où s’était déroulée, dans le Tarn et à Toulouse, une grande partie de sa carrière politique et journalistique. Avec lui disparaissait la dernière chance d’une paix broyée par les engrenages inexorables des traités qui liaient les puissances européennes.
Nos populations, éloignées des frontières contestées et peu perméables aux excitations nationalistes, avaient apprécié et soutenu les actions de paix du grand tribun. Ses campagnes en faveur de l’arbitrage des conflits répétés depuis le début du siècle dans les Balkans, mais aussi contre le dépeçage colonial de l’Afrique, son souci d’organiser une riposte ouvrière internationale pour enrayer le fatal processus, avaient marqué l’opinion.
Dès lors, ouvriers, paysans et bourgeois de nos villes et de nos campagnes ne mirent pas «la fleur au fusil», quand l’ordre de mobilisation générale du 2 août les arracha, pour quatre longues années ou à jamais, à leur quotidien.
Soldats français de 14-18 des 114è & 27è régiments d'Infanterie
Un tiers des hommes de 20 à 40 ans sont morts
Ils partirent pourtant, et se battirent vaillamment dès août 1914, en dépit des calomnies qui fleurirent aussitôt à l’encontre des divisions du XVIIe corps d’armée recruté dans notre région, comme du XVe corps provençal et du XVIe languedocien. La percée, très meurtrière, des armées allemandes en Lorraine et Champagne, avait été facilitée par de graves erreurs stratégiques dont les «pantalons rouges» furent les premiers à subir les conséquences.
Soldats dans les ruines de Fleury en Douaumont
Ce fut ensuite la course à la mer, et la stabilisation d’un front de tranchées. Parmi les témoignages des «poilus» recueillis à ce jour, nombre d’entre eux furent rédigés par des enfants de notre région, hommage indirect à une école primaire efficace, mais surtout poignante expression des souffrances et de l’indignation devant l’interminable boucherie.
L’infanterie, recrutée prioritairement dans le monde paysan, fut très affectée. Un tiers des jeunes de 20 à 40 ans allait décéder. Et c’est pour cette raison que nos monuments aux morts, dans les villages ruraux du Sud-Ouest, sont particulièrement garnis.
Hôpital temporaire : blessés, médecins et infirmières
L'engagement des femmes
Les souvenirs des tranchées sont rarement martiaux. Ils exhalent plutôt l’angoisse de la mort, l’ennui et la nostalgie de la famille. Mais la solidarité des escouades, le courrier, les périodes de répit dans les tirs d’artillerie, et parfois les fraternisations entre tranchées ennemies ont permis de tenir, tandis que l’arrière éprouvait aussi les effets du conflit.
Situé loin du front, à l’abri des bombardements, le Sud-Ouest devint vite un hôpital et un arsenal. L’aviation et la chimie prirent alors leurs racines dans notre région, transformant durablement son économie. L’engagement des femmes fut décisif pour assurer la production des vivres mais aussi des munitions et le fonctionnement des services. L’urbanisation fut donc, plus qu’ailleurs, accélérée par la guerre tandis que l’unification linguistique et le nivellement des modes de vie devenaient irréversibles.
Capture d'un canon allemand
La conscience des pertes, comme le soulagement de la fin du conflit, s’expriment parfaitement dans le monument départemental de Toulouse, allées François Verdier. Dédié aux combattants, c’est-à-dire aux morts et aux survivants, cet imposant arc de triomphe est revêtu - et pour cause ! - des citations décernées aux régiments de la région. Il arbore de hauts-reliefs mettant en scène les nouvelles armes (les chars, les avions), mais surtout, il porte le bas-relief d’André Abbal célébrant le retour des poilus, foule innombrable et meurtrie au milieu de laquelle s’étreignent, dans un élan de tendresse et d’optimisme, deux amoureux.
Militaires blessés dans les tranchées
Beaucoup plus humbles, et d’autant plus émouvants, les monuments de village où souvent une femme voilée de deuil pleure son époux ou son fils. Et cette stèle du Lauragais où s’inscrivent les vers généreux d’Antonin Perbosc :
La guerra qu’an volguda / es la guerra a la guerra / Son mòrts per nòstra terra e per tota la terra.
(La guerre qu’ils ont voulue / est la guerre à la guerre / Ils sont morts pour notre /
terre et pour toute la terre).
Chargement dans la gare de Fontaine-Bonneleau - Oise
Publié le 07/11/2013 à 08:09 | Pierre Challier
À Castelnaudary, le massacre d'une équipe de rugby
Antoine Bieisse dans son cadre noir : les deux-tiers de ses copains sont morts à la guerre de 14-18... Photo D.R.
Il s’appelle Antoine Bieisse. Sur la photo de l’équipe du «Quinze Avenir Castelnaudary» qui dispute la saison 1912-1913, il est assis au centre, sa tête entourée d’un carré noir. Autour de lui, dix de ses copains du rugby sont frappés d’une croix. Les dix ont été tués à la guerre… Cette guerre dont Antoine Bieisse a failli ne jamais revenir.
Rares sont les photos qui racontent aussi simplement l’hécatombe. Qui résument avec une telle densité la bascule vers l’horreur d’une jeunesse conquérante. Mais l’histoire de ce survivant est emblématique aussi…
Cet été 1914, Antoine Bieisse va sur ses 21 ans. Il fait son service militaire au 143e Régiment d’infanterie lorsqu’éclate la guerre. Arrivé sur le front de Lorraine le 9 août, il tombe grièvement blessé le 20. Mais ne sera ramassé par les Allemands que le 25… En captivité, il confie ce qu’il a vécu à son carnet. Et témoigne. Durant cinq jours et cinq nuits, il est resté allongé sans pouvoir bouger sur le champ de bataille avec pour seule visite des sangliers. La soif l’a torturé, la peur aussi. Il a craint d’être achevé. Ils sont finalement venus. Pas des barbares. Des brancardiers. Les Allemands l’ont soigné et sauvé de la gangrène… Côté français, la réciproque était vraie aussi.
L'Union Sportive Castelnaudarienne, Saison 1913-1914
Un Français, un Allemand, chacun sauvé par l’ennemi : de ces témoignages croisés l’historien Rémy Cazals (1), professeur émérite au Mirail, et son confrère Eckart Birnstiel ont tiré «Ennemis fraternels 1914-1915», publié aux Presses universitaires du Mirail. Et toute la tragique absurdité de la guerre semble contenue dans ces récits où une vacillante flamme d’humanité met aussi en lumière l’ampleur du crime de masse.
(1) Antoine Bieisse est l’un des «500 témoins de la Grande Guerre» ouvrage collectif dirigé par Rémy Cazals, sur lequel nous reviendrons.
Publié le 10/11/2013 à 03:50 J.-M. G
Castres : Carnets et vie quotidienne durant la Grande Guerre
François Pioche, professeur d'histoire retraité, a extrait un livre des écrits d'Alfred Roumiguières. / DDM
A l’aube du centenaire de la Guerre 14-18, la société culturelle publie deux recueils remarquables, l’un sur la vie à Castres pendant le conflit et l’autre à partir des lettres et carnets d’un Poilu castrais, Alfred Roumiguières.
Ce sera demain le 11 novembre et dans le même temps, c’est l’approche du centenaire de la Grande Guerre 1914-1918 qui se dessine. De quoi motiver les historiens et érudits locaux qui ne cessent de fouiller toute piste nouvelle pour explorer et mieux comprendre cette période de l’histoire. La société culturelle du pays castrais apporte ainsi sa contribution avec la publication de deux ouvrages très intéressants qui éclairent ces années noires. Le premier est en fait une réédition comme l’explique Aimé Balssa : «Il s’agit d’un cahier qui traite de la vie à Castres pendant la Grande Guerre. C’est un travail qui avait été réalisé en 1998 par René Artigaut et André Minet.
Cavaliers français partant pour le front
Une étude très bien faite qui a été un peu réactualisée.» La vie dans la cité n’est plus la même après que, en quelques jours, plusieurs milliers de Castrais aient été mobilisés. L’arrivée d’une population nouvelle par vagues, prisonniers ou blessés, main d’œuvre des industries de l’armement vient bousculer la vie locale. Ce cahier raconte aussi les difficultés du quotidien, les restrictions ou l’absence de monnaie tandis que la liste des morts s’allonge. En 1918, c’est aussi l’explosion de la poudrerie à Mélou et les ravages de la grippe espagnole. Témoignages et archives sont croisés dans l’ouvrage avec même un éclairage sur le phénomène marginal du refus de la guerre. Sans oublier d’évoquer les péripéties liées à l’élévation du monument aux morts castrais après l’Armistice. Un travail complet mais condensé à mettre entre toutes les mains.
Prise de guerre : soldats français avec une mitraillette
Un instituteur tarnais dans la guerre
La société culturelle édite aussi pour l’occasion les extraits des carnets et de la correspondance d’Alfred Roumiguières choisis et présentés par François Pioche, ancien professeur d’histoire à la Borde-Basse aujourd’hui retraité (lire ci dessous). Né en 1887 dans le Tarn, Alfred Roumiguières a d’abord été instituteur à Sorèze avant d’être mobilisé comme sergent. Puis il deviendra adjudant. Pendant le conflit, il va écrire plus de 1600 lettres à sa femme Rosa et à ses proches. Il remplira aussi 7 carnets de notes de grande qualité et très appréciés des historiens locaux. A son retour, Alfred Roumiguières, souvent présenté comme ces «hussards noirs de la République», a été nommé instituteur à l’école rue Sainte-Foy aujourd’hui fermée mais qui porte toujours son nom.
Engagé en politique (au parti politique SFIO) et dans le syndicalisme, il avait enfoui ses écrits de guerre dans une malle retrouvée après son décès. Et aujourd’hui, c’est François Pioche, l’époux d’Annie Pioche petite-fille d’Alfred, qui en tire les extraits les plus remarquables. Une belle contribution là aussi à la compréhension de l’histoire.
«Castres et la Grande Guerre», 15 € (+ 4 € de frais de port). «Un instituteur tarnais dans la Grande Guerre», 20 € (+4 € de frais de port) Disponible par courrier à la Société culturelle du pays castrais, 8, place Soult, 81 100 Castres. Ou bien chez Didier Serres, A la Ville du Puy, 5, rue de l’Hôtel de ville ou aux archives départementales du Tarn à Albi.
Groupe de soldats du 12è régiment
Les lettres et carnets d'Alfred Roumiguières
François Pioche a réalisé un travail énorme pour sélectionner les passages les plus marquants de la correspondance et des carnets de route d’Alfred Roumiguières : «Je l’ai présenté de façon chronologique mais en m’intéressant à trois thèmes principalement. J’ai d’abord retenu tout ce qui concernait la vie quotidienne des soldats, leurs joies et misères, petites ou grandes. La vie des Poilus était dure, mais parfois aussi ennuyeuse ou répétitive. Le grand-père de mon épouse décrivait très bien ces atmosphères quotidiennes.»
L’historien s’est ensuite attaché à extraire des écrits tout ce qui concernait les combats, le front et surtout la guerre de tranchées. Les «relations» avec l’ennemi, «ceux d’en face» qu’ils entendaient parler ou éternuer, sont aussi évoquées. Et puis enfin François Pioche s’est intéressé à la réflexion politique du poilu, sa morale et sa philosophie. Très déterminé dans la nécessité de «faire son devoir pour défendre la France qui a été attaquée», il montre aussi que la Guerre est une horreur mais adhère à ce que l’on appelait «l’union sacrée». Alfred Roumiguières avait demandé à son épouse de conserver ses lettres mais n’en avait jamais vraiment parlé, laissant à ses descendants le soin d’en prendre connaissance. C’est chose faite aujourd’hui.
Front de Cambrai : troupes irlandaises