Laguiole va récupérer l'usage de son nom

17/3/2019


Mis à jour le 06/03/2019 à 12:15    | La Dépêche du Midi |  Mathieu Quintard

Le village de Laguiole va récupérer l'usage commercial de son nom


Le restaurateur Michel Bras et le maire de Laguiole Vincent Alazard déboulonnent le panneau indiquant l'entrée du village pour protester contre les décisions de justice./ Photo DDM

Le suspense était à son comble dans le petit village de Laguiole en Aveyron. Toute la commune attendait hier avec impatience une énième décision de justice susceptible de leur rendre l'usage commercial de leur nom, «spolié» depuis vingt-six ans.Mais au bout du suspense, c'est enfin chose faite.
Hier soir, la justice a tranché en faveur des Aveyronnais.

Imaginez, une des richesses de l'artisanat aveyronnais dont le seul nom évoquait les vertes collines d'Aubrac et le savoir-faire de plusieurs générations de couteliers confisqué par un businessman du Val-de-Marne. Car depuis 1993, la marque Laguiole appartenait à l'homme d'affaires parisien Gilbert Szajner, qui l'avait déposé et en avait donc seul le droit d'exploitation commerciale.


L'histoire qui lie Laguiole à la coutellerie remonte au Moyen-Âge / Photo DDM

Bataille de marques
Impensable pour la petite commune de 1 300 âmes. Dès 1997 la municipalité attaque l'entrepreneur francilien en justice pour récupérer l'usage de son propre nom, sûre de son bon droit. Et pourtant… Si une première décision rendue par le tribunal de grande instance de Paris statue en faveur du village aveyronnais, le jugement est contredit deux ans plus tard par la cour d'appel de Paris. Elle autorise Gilbert Szajner à continuer l'exploitation de la marque Laguiole pour les couteaux, mais aussi pour d'autres produits tel du linge de maison, des vêtements, des chaussures ou même des barbecues. En 2014, M. Szajner confirmait à Centre Presse concéder la licence du nom à 22 entreprises pour plus d'un millier de produits.


Dans les caves, le fromage Laguiole s'affine. /¨Photo DDM

Mais les Aveyronnais, têtus, ne se laissent pas impressionner par les décisions de la justice parisienne. Ainsi, en 2009, le village dépose à son tour la marque Laguiole. L'homme d'affaires réagit immédiatement en revendiquant logiquement l'«antériorité de ses droits».
Après diverses procédures, le TGI de Paris tranche une fois encore en faveur de M. Szajner, au motif que «Laguiole est un nom de couteau entré dans le langage courant sans lien direct évident avec la commune de Laguiole». En appel, en 2014, les Aveyronnais sont une nouvelle fois déboutéset la justice les condamne même à payer la somme de 130 000 €.

Ce sera donc la Cour de cassation, ultime espoir pour les habitants de Laguiole et leur maire Vincent Alazard, qui trouvent enfin des juges attentifs à leurs arguments. En 2016, la Cour casse le jugement rendu en 2014. Elle considère alors le risque d'«induire en erreur le consommateur moyen» en lui laissant penser que les produits vendus sous la marque Laguiole sont originaires du village du même nom.


Laguiole a aussi sa célèbre fouace / Photo FB, Roux et fils

Et un an plus tard, les Forges de Laguiole, qui ont relancé la fabrication de couteaux sur la commune en 1987, réussissent à faire annuler l'enregistrement de la marque pas la justice européenne. Mais seulement pour les produits de coutellerie, couteaux et couverts.

Hier soir, le vent a donc bel ete bien tourné pour Laguiole. «On va retrouver la possibilité d'utiliser notre nom, ce qu'on nous avait retiré !», s'est félicité le maire du village, Vincent Alazard. Selon lui, «la majorité» des marques concurrentes sont ainsi annulées, même si quelques-unes subsistent.
«Les Laguiolais vont pouvoir déposer le nom Laguiole», ce qui va permettre de «relocaliser de l'activité» dans le village «en développant des produits autour de notre identité», a insisté le maire.


Le célèbre taureau de Laguiole, un bronze de Georges-Lucien Guyot datant de 1947,symbole fort du village et de la race aubrac / Photo DDM

La victoire n'est toutefois pas totale pour le village : si les juges ont longuement rappelé que l'argumentaire commercial de M. Szajner «repose sur l'histoire et les légendes de cette commune» alors qu'aucun de ses produits n'y est fabriqué, ils ont refusé de le condamner pour pratiques commerciales trompeuses.
Gilbert Szajner, son fils et leur société Laguiole devront verser 50.000 euros au village au titre de son préjudice moral, et chacun 20.000 euros au titre des frais de justice.
La commune demandait cinq millions d'euros au titre de ses préjudices économique et moral.


Lancée en 2013, la coutellerie Laguiole Village s'illustre dans l'artisanat du couteau Laguiole / Photo DDM

Laguiole, des couteaux de légende
C'est un vieil outil en pleine forme de presque 200 ans. Le premier couteau Laguiole fabriqué en 1829 dans le village est inspiré de son ancêtre le capuchadou et du couteau catalan pliant appelé «navaja» que les ouvriers aveyronnais ramenaient de leur saison en Espagne. Son manche est en bois ou en ivoire, la pointe de la lame est centrée et il est décoré d'une abeille. Peu à peu le Laguiole va évoluer. Devant son succès, la production du Laguiole se délocalise à Thiers, à partir de la fin de la Première Guerre mondiale, et devient industrielle dans les années 1930. En 1987, grâce à une poignée d'élus et de passionnés, le joyau fait son retour dans l'Aveyron. Ainsi, naissent les Forges de de Laguiole. En 1997, près de 400 000 couteaux sont fabriqués dans le village.


Le couteau reste aujourd'hui une véritable vitrine du savoir-faire local. / Photo FB, Forge de Laguiole
 
 

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