On a tous quelque chose en nous de Johnny

7/12/2017

Publié le 07/12/2017 à 07:22  | La Dépêche du Midi |  Jean-Claude Soulery

Respect


/ Photo AFP

On l'imaginait solide comme un rock, tant Johnny nous avait habitués à « rester vivant ». Il avait traversé l'époque avec la fureur d'un fauve, ce permanent désir de mordre la vie et forcément s'y brûler – trop de cigarettes, trop de scotch, trop d'amours, trop d'amis, trop de nuits, trop de coups, trop d'excès –, si bien que, depuis quelques mois, nous regardions, incrédules, ce septuagénaire malade, émacié, le regard perdu, attendant le final grandiose de sa mort, mais sans y songer vraiment, comme s'il s'agissait en définitive d'un malentendu passager : parce que c'était Johnny, il allait, croyions-nous, vaincre le cancer et rallumer son feu.


Johnny et Jacques Dutronc, lors du dernier concert des Vieilles Canailles, le 6 juillet 2017./ Photo DDM Jean Luc Bibal

Et c'est ainsi que la France s'est réveillée hier matin, en apprenant que le chanteur l'avait abandonnée. Extinction de voix. La sienne.
Rarement – dans ce métier du show-biz devenu un vrai foutoir standardisé où tout se vaut, s'écoute et rapporte, mais où tout s'épuise le temps d'un clip – rarement et pour tout dire jamais chanteur français n'a occupé à lui seul la scène, si totalement et durant si longtemps. Il nous avait réveillés à l'aube d'une adolescence yéyé, dans une France pesante comme le képi du Général.


Johnny Hallyday et Sylvie Vartan / Photo DDM, Sipa

Ainsi avait-il pris par surprise ce qu'on appelait la chanson française – et qui s'attachait alors à l'écriture déliée des Brassens et Ferré – pour y graver un son nouveau, la « voix Johnny » aux intonations reconnaissables entre mille, et pour donner à la musique rock une place prépondérante en décoiffant la sirupeuse ritournelle des Tino Rossi. La chanson devenait ainsi le terrain privilégié du conflit des générations, et le XXe siècle changeait de disque. Fallait-il donc prendre la jeunesse au sérieux ! Son twist, son blouson noir, ses premières tournées où il fallait que ses fans dévastent les salles et cassent des chaises, annonçaient déjà Mai-68, les pavés, la fin des habitudes confinées, le temps des révoltes contre l'étouffoir de nos pères – « dix ans de chaînes sans voir le jour »… .


Johnny Hallyday et sa femme Laeticia en 1996 / Photo DDM, Sipa Mazeau Jean Marie

C'est ainsi que Johnny a été le « chanteur global » de la Ve République, toujours à la recherche de lui-même, épousant toutes les modes et les musiques qui venaient d'Amérique avec un flair inégalable : retenant la nuit dans les bras de Sylvie, « né dans la rue » quand la rue grondait, moquant « les cheveux longs et les idées courtes » pendant la guerre du Vietnam, mais aussi hippie quand les fleurs poussaient à San Francisco, psychédélique au bon moment, pop pour être populaire, country si nécessaire, mais s'en revenant toujours au rock'n'roll et au blues, Johnny a offert à son public sans âge toutes les variations de la variété, 1000 titres, 110 millions de disques et près de 200 tournées en près de 60 ans – sur la balance, ça dépassait d'un bon poids les Beatles et les Stones !


Johnny Hallyday sur scène, le 25 septembre 2009 à Lille / Photo DDM, AFP François Lo Presti

Sur scène, il suffisait que la bête surgisse dans le tonnerre des guitares et la foudre des lasers, pour que son public comprenne spontanément et physiquement que l'heure était devenue électrique et le moment inoubliable, brûlant comme s'il faisait vraiment show. Johnny était alors un corps en sueur, offert sans pudeur à ses fans, un corps de félin – et de préférence un corps en cuir noir.
Certes, la légende Johnny n'a jamais pu franchir les océans, elle s'est contentée d'être une légende française, d'occuper le seul espace de la francophonie – jamais, en un demi-siècle, et malgré toutes ses reprises d'Elvis Presley, Eddie Cochran et autres standards américains, Johnny ne parviendra à s'exporter sur les rivages du rock anglo-saxon. Il était trop français ou peut-être trop belge.


En 2012, Johnny Hallyday revenait à Carcassonne après de nombreuses années d'absence./ Photo DDM

C'est peut-être pour ça qu'il est demeuré à vie notre idole hexagonale – notre rocker devenu sur le tard porte-drapeau officiel de la « french culture ».
Souvenir d'un refrain, souvenir d'un concert, souvenir de nos tendres années. Ce sont « nos » souvenirs. Un demi-siècle d'énergie durable – qui nous a transportés de notre adolescence yéyé jusqu'à un âge disons plus respectable. Respect, Johnny !


 

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