Publié le 10/12/2012 à 10h36 / Sud-Ouest / Par Jacques Ripoche
Faudra-t-il un jour payer pour se promener en forêt ?
"Ici, les gens sont très attachés à la gratuité, ils considèrent que l'espace appartient à tout le monde, que la forêt est un service public", explique un chercheur bordelais
Jeoffrey Dehez dans le bois de Thouars. (PHOTO Laurent Theillet/« SO »)
La forêt ne se résume pas à un stock de bois et à une réserve de biodiversité. Elle rend aussi un service « récréatif » sur lequel le chercheur bordelais Jeoffrey Dehez, économiste à l'Irstea (ex-Cemagref), s'est penché (1). « La porte d'entrée, explique-t-il, c'est la valeur économique associée aux services rendus par la forêt. Aujourd'hui, mis à part les chasses privées, les parcours acrobatiques et diverses activités de ce genre, globalement son accès est gratuit. Mais, au regard du contexte économique actuel de la gestion forestière, il y a beaucoup de choses gratuites sur lesquelles on se pose des questions. Avant, la vente de bois couvrait tout. Désormais, la biodiversité et le tourisme vont se trouver confrontés à cette réalité économique. »
Forêt de la Grésigne (photo Valmohair)
La grande question est : comment replace-t-on ces services-là dans le bilan économique de la forêt ? En 2009, Bernard Chevassus-au-Louis, inspecteur général de l'agriculture, dans un rapport retentissant, a permis de débroussailler le terrain, indique Jeoffrey Dehez. Le haut fonctionnaire estimait alors les « services écologiques » de la forêt à 970 euros par hectare et par an. Ce chiffre résultait d'un calcul qui prenait en compte aussi bien la fonction de régulation du climat et de la pluie et le traitement naturel de l'eau que la cueillette des champignons, sur la base du prix au kilo payé au marché de Rungis !
Forêt de Bouconne
60 millions de visiteurs
Les services récréatifs proprement dits sont évalués à 200 euros par hectare et par an. La forêt est en effet un des espaces de loisirs, celui de la promenade douce accessible à tous, les plus prisés des Français. Selon un sondage, rapporte Jeoffrey Dehez, « entre 60 et 70 % de la population d'Aquitaine fréquente la forêt durant son temps libre, ce qui représente environ 60 millions de visites annuelles (France : 500 millions) ».
Forêt du Somail (Photo Foopix)
Si les forêts réputées (celles du littoral, des bords de la Leyre, d'Iraty…) sont très appréciées, c'est toutefois la forêt périurbaine qui recueille le plus grand succès. « La plupart des gens font moins de 20 kilomètres pour y accéder », observe le chercheur. Dans la forêt périurbaine, il intègre des espaces comme le bois de Thouars, à Talence (33), ou celui de Mandavit, à Gradignan (33), situés dans la Communauté urbaine de Bordeaux.
Forêt des Monts de Lacaune (Photo Tourdesmonts)
La forêt, ajoute-t-il, devient également et de plus en plus un élément du cadre de vie. Il en veut pour preuve le développement de la population dans l'aire dite Adour-Landes océanes, qui arrive en deuxième position derrière le bassin d'Arcachon en termes d'implantations nouvelles. « C'est un territoire attractif pour des gens qui travaillent dans le BAB (Bayonne-Anglet-Biarritz) et qui ne peuvent s'y loger. »
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Forêt du Sidobre (Photo Rendezvousenfrance)
Mettre en débat
Cela posé, quel modèle établir pour rétribuer ces services ? « Nous ne sommes pas en Finlande, où un droit d'accès est appliqué à tous les espaces forestiers, publics et privés, souligne Jeoffrey Dehez. Ici, les gens sont très attachés à la gratuité, ils considèrent que l'espace appartient à tout le monde, que la forêt est un service public. »
Forêt pyrénéenne (Photo Randopyreneesnature)
« Mais, s'interroge-t-il, est-ce que les gens ne paient pas déjà ? Même si c'est gratuit, ce n'est pas dénué d'impact économique. » Il existe une taxe départementale sur les espaces naturels sensibles, et la voie de l'impôt pourrait être adaptée à une fréquentation relativement localisée. Cela étant, souligne le chercheur, c'est aux décideurs et aux collectivités qu'il appartient de se prononcer. « On en est à un stade où l'on arrive à mieux caractériser les attentes sociales. Dès lors, il faut replacer les choses et les mettre en débat. »
(1) « L'Ouverture des forêts au public, un service récréatif », coordonné par Jeoffrey Dehez, éd. Quae, 36,10 €.
Forêt d'Aubrac (Photo St Chély d'Aubrac)
Au coeur de la forêt périgourdine (Photo paysduchataignier)
Forêt d'Iraty
Forêt des Landes (Photo JC Poumeyrol)
Forêt de l'Aigoual
Forêt vauclusienne (Photo pause-bonheur)