La population d'Occitanie grandit, trop ?

22/2/2025

  La population d'Occitanie grandit, trop ?  

Publié le 06/01/2025 | Midi Libre |  Sophie Guiraud

"Ce n'est pas forcément un cadeau" : la population d'Occitanie n’en finit pas de grandir, tirée par ses métropoles Toulouse et Montpellier


La population de Montpellier gagne + 1,5 % d’habitants par an. / Midi Libre - JEAN-MICHEL MART

Elle n’en finit pas de grandir, plus vite que toutes les autres régions de France : l’Insee salue la vitalité de l’Occitanie, dopée par un solde migratoire positif. La région compte désormais plus de 6 millions d’habitants inégalement répartis sur le territoire. Toulouse et Montpellier sont les grandes gagnantes de cette poussée, qui bénéficie également au littoral. "L'attractivité, ce n'est pas forcément un cadeau", alerte le géographe montpelliérain Alexandre Brun, qui pointe les fragilités de l'Occitanie.


Noël à Toulouse : immersion dans la frénésie des rues commerçantes saturées et des files d’attente interminables / DDM, Frédéric Charmeux

"Grâce à un fort excédent migratoire", la population progresse partout en Occitanie. Un peu plus à Toulouse et Montpellier, observe l’Insee, qui, au 31 décembre 2022, date de référence de l’enquête statistique publiée le 19 décembre dernier, voit reculer la population dans deux villes moyennes, Nîmes et Perpignan, pourtant situés à proximité ou sur une frange littorale à la démographie très dynamique.


Perpignan : Moins d’agriculteurs, de retraités, plus de personnes sans emploi / Ind, Nicolas Parent

Autres enseignements de l’étude : si aucun département de la région ne perd d’habitant, les équilibres géographiques diffèrent, et les mouvements de population ne montrent pas d’engouement pour la ruralité, comme annoncé dans l’après-Covid. Alexandre Brun, démographe, maître de conférences, à l’Université Paul-Valéry de Montpellier, analyse la situation.


Alexandre Brun, géographe à l’Université Paul-Valéry de Montpellier : "Un certain nombre de trompe-l’oeil". / ML,DR

L’Occitanie est toujours très attractive sur le plan démographique, elle talonne désormais Nouvelle-Aquitaine, troisième région la plus peuplée de France. C’est une surprise ?
Une surprise, certainement pas ! Le solde migratoire de l’Occitanie est positif depuis de très nombreux recensements.

En revanche, ce n’est pas acquis. Pour demeurer une région attractive, il faut conforter ses atouts et tenter de palier les difficultés que l’on rencontre.
Le paradoxe de l’Occitanie, c’est qu’une partie des difficultés qu’elle rencontre relève précisément de l’augmentation de la population.


La circulation à Nîmes garde toujours un goût de bouchon malgré des améliorations / ML, Mikaêl Anisset

Les problèmes de ressources en eau, de transport, d’accessibilité à un logement…

Exactement. Aujourd’hui, la population d’Occitanie, c’est un peu plus de 6 millions d’habitants, c’est-à-dire à peu près 9 % de la population française qui s’élève aujourd’hui à 68,3 millions d’habitants, on a une densité de 83 habitants par kilomètre carré, ce qui est relativement important. Mais ce sur quoi je veux insister, c’est la capacité d’accueil du territoire, très inégale, selon qu’on est sur le littoral, dans les grandes villes, les villes petites et moyennes, et dans des territoires ruraux constitutifs de la diagonale du vide.


Démographie : sur le bassin de Thau, la population continue d’augmenter avec près de 130 000 habitants / ML, Vincent Andorra

Cette capacité d’accueil procède à mon avis de trois facteurs : l’eau, le foncier et l’emploi.
La caisse de résonance médiatique contribue à faire connaître la première problématique, en particulier celle du partage de l’eau, et je pense en particulier aux Pyrénées-Orientales où la problématique est délicate entre l’agriculture et le tourisme. C’est un problème qui va aller en s’accentuant.


"Nous sommes dans une situation de très forte tension" : la crise du mal-logement s'aggrave en Occitanie / ML, Alexis Béthune

Le deuxième facteur, dont à mon avis ni les élus locaux, ni les services de l’État, ni les habitants eux-mêmes n’ont pris la mesure, est la problématique du foncier parce que la loi Climat et résilience de 2021 puis la loi Zan de 2023 vont mécaniquement accentuer les difficultés foncières pour le meilleur, en luttant contre l’étalement urbain, mais aussi pour le pire parce qu’il est question de densifier là où c’est possible, ce qui risque de créer des tensions sur certaines zones que lorgnent déjà des promoteurs immobiliers, les friches, déjà largement investies, les zones pavillonnaires, n’en déplaisent à ceux qui les habitent, et les zones commerciales, qui consomment beaucoup d’espace dans des lieux stratégiques, et qui posent question.


Prix, taux d’intérêt, foncier… : à Nîmes, les promoteurs réduisent la voilure face à la crise / ML, Geoffrey Gavalda

Il y a beaucoup d’interrogations sur cette problématique du logement, les transports, le logement social…

Enfin, le troisième facteur, de loin le plus important, qui participe de la capacité d’accueil du territoire, c’est l’emploi : c’est bien beau de venir en Occitanie, mais s’il n’y a pas de boulot… c’est une fabrique de chômeurs, ce territoire. Et une matrice de pauvreté. Une bonne partie des villes les plus pauvres de France sont en Occitanie : Béziers, Alès, Perpignan…


Avec une hausse de 1,1 % en 2023, le rythme des créations d’emploi en Occitanie s’est ralenti, révèle une étude de l’Insee / ML, Mikaël Anisset

L’une des difficultés de la région est de demeurer un territoire d’accueil et de résoudre une équation difficile sur l’eau, le foncier et l’emploi.
Et il y a un certain nombre de trompe-l’œil, que l’Insee n’évoque pas. Je n’en citerai qu’un : le vieillissement de la population.
En résumé, ce que je suis en train de dire, c’est que l’attractivité n’est pas forcément un cadeau.


Démographie : le Sud Lozère toujours attractif mais vieillissant / ML


 
"Cette région a tout pour plaire"
Les grandes métropoles sont en première ligne : Montpellier voit sa population augmenter de + 1,5 % chaque année, Toulouse, + 1,3 % : aujourd’hui quatrième ville de France, elle "pourrait devancer Lyon dès 2025", dit l’Insee, ça déconstruit la géographie de la France que l’on a en tête !

On n’en a pas conscience parce que ce sont des processus qui sont relativement lents. Ce n’est pas spectaculaire.


Les 500 000 habitants de la Métropole peuvent se déplacer en bus et en tramway gratuitement / ML, Dorian Cayuela

Il y a des facteurs qui expliquent l’attractivité de l’Occitanie en général, et des métropoles en particulier : l’image que véhicule la région et ses deux métropoles, des villes jeunes, sportives, dynamiques, culturelles… mais aussi la dimension patrimoine naturel et bâti, qui compte beaucoup plus qu’on ne l’imagine. Le canal du midi, le cirque de Navacelles, le Pont du Gard… participent de l’image minutieusement et savamment construite de la région.
Il y a ensuite les grands équipements, sportifs et culturels, les stades, les opéras, les festivals, l’excellence des hôpitaux.


Label renouvelé pour le Grand site de France du Cirque de Navacelles / ML

Et enfin le climat et la variété des paysages.
Cette région a tout pour plaire, comme sa voisine Nouvelle Aquitaine qui connaît exactement la même trajectoire et qui rencontre les mêmes problèmes. Ce n’est pas parce qu’on a fabriqué de grandes régions qu’on gère mieux l’accueil des nouveaux arrivants, et je dirai, des entreprises.

L’économie, particulièrement du côté de l’ex-Languedoc-Roussillon, est très fragile. C’est un territoire géant aux pieds d’argiles. Le moteur de l’économie, c’est l’arrivée de nouveaux ménages. 


à la découverte des métiers de demain des industries culturelles et créatives / ML, J.M. Mart

On oublie que le point clé, c’est l’emploi. Ce ne sont pas les nouveaux ménages qui vont créer de l’emploi, ce sont les entreprises. Et là, il y a une vraie différence entre l’ex Midi-Pyrénées, et en particulier Toulouse, et l’ex-Languedoc-Roussillon, en particulier Montpellier. À Toulouse l’économie est hybride, il y a un héritage industriel, et encore un secteur secondaire. C’est la seule grande métropole d’Occitanie. Montpellier est une métropole intermédiaire.


La démographie de l'Occitanie, toujours à la hausse.  Midi Libre - SOPHIE WAUQUIER

Parmi les fragilités qu’on refuse de voir, il y a aussi le changement climatique : le trait de côte méditerranéen, qui va être bouleversé par le changement climatique, est encore très attractif, dit l’Insee. Dans quelques années, ce sera peut-être l’enfer d’habiter d’ici.

Vous avez raison : il y a des risques de submersion marine, de salinisation des nappes, plus de risques d’épisodes cévenols, des modifications en profondeur de la diversité biologique. Vous pourrez bientôt pêcher du barracuda à Carnon, et les espèces invasives vont se multiplier, pas seulement le moustique.


À L’Espiguette, on mise sur une restauration douce et naturelle des dunes pour faire face aux assauts de la mer. / ML, Mikaël Anisset

Si on voit les choses de façon systémique, c’est inquiétant. C’est un point dont on se détourne quand on parle du dynamisme démographique de l’Occitanie, avec, j’y reviens, le vieillissement de la population, sur lequel on est en dessous de tout en termes d’action publique comme de réponse privée. On est en train de fabriquer un Ehpad à ciel ouvert.

Ce qui pose des problèmes de réhabilitation des logements dans le contexte de réchauffement climatique qui exigerait une adaptation, de mixité générationnelle… pour éviter à tout prix des ghettos de vieux riches et des ghettos de jeunes pauvres.


Canicules, sécheresses, conflits sur l'eau... Alerte sur l’impact du réchauffement en Occitanie / ML, Mikaël Anisset

En bref, il y a toute une série de paradoxes que génère l’arrivée de cette nouvelle population qui est le moteur du dynamisme démographique, parce qu’elle ne va pas là où on voudrait qu’elle aille.

"La queue de comète de l’exode rural d’il y a 150 ans"
Elle ne va pas, notamment, dans ce milieu rural qu’on annonçait comme terre de reconquête après le Covid.
Quand on regarde les choses à l’échelle infra-régionale, et notamment infra-départementale, il y a des subtilités.


"Comment impacter et être impactés le moins possible" : à l’heure du changement climatique, les professionnels du tourisme sous pression / ML, Laura Vaillant

Le point positif, c’est que les villes petites et moyennes tirent leur épingle du jeu.
Perpignan et Nîmes n’augmentent plus…
C’est à renvoyer à la fragilité sociale de ces territoires, et à la disponibilité de l’emploi.
Mais pour ce qui est du milieu rural, il y a des petites villes qui jouent des rôles clés, comme Mende, Rodez, Millau…


Ambiance : petit tour dans la ville de Mende, un samedi feutré par la neige / ML, Stéphanie Bouloir

En revanche, le rural, qu’on qualifiait jadis de profond, éloigné des centres urbains, dans la diagonale du vide, continue de perdre de la population ou voit sa population vieillir beaucoup plus vite que les autres territoires. C’est la queue de comète de l’exode rural d’il y a 150 ans. Notre "rural" n’est pas industriel, n’est même plus agricole. Il faut conforter l’agriculture pour que les petites entreprises qu’elle génère puissent tirer leur épingle du jeu.


Barjac : Le patrimoine communal, l’atout charme pour ce village de caractère / ML, E. Chaulet

Moins d’habitants, c’est moins d’écoles, de gendarmeries, de médecins… comment voulez-vous qu’on s’installe dans ces zones ? Il n’y a pas beaucoup de boulot, le foncier même s’il n’est pas cher, demande beaucoup d’investissements, les temps de trajet sont longs… des coeurs de village se paupérisent alors que ce sont des joyaux.


École Lucie-Aubrac : Mobilisation contre la fermeture d’une classe / ML

Les promesses de l’après-Covid n’ont donc pas été tenues : on imaginait le télétravail…
C’était évidemment un mirage. Tous les géographes avaient dit qu’il fallait attendre et voir. Il y a des Parisiens qui ont fait d’une partie de la Normandie le vingt et unième arrondissement de Paris. Si vous vous retrouvez au fin fond du Gard, vous n’avez même pas le Samu, et cette question-là est déterminante.


"C'est devenu un outil d'attractivité pour l'entreprise" : le télétravail est désormais incontournable / ML, Vanessa Meyer




Déserts médicaux : le dispositif Mobisanté 48, cabinet médical itinérant, encensé auprès de deux ministres / ML
 
 

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