La Via Domitia ancêtre de l'A9
La Via Domitia ancêtre de l'A9
Publié le 12/01/2025 | Midi Libre | Arnaud Boucomont
WEEK-END HISTOIRE
Sous l'asphalte de l'autoroute A9, les pavés de son ancêtre, la via Domitia
Sur la via domitia, plus ancienne voie construite en Gaule, des paysages modelés par les Romains / ML, L.Peugeot
Il y a 2 140 ans, le consul romain Domitius, après l’avoir emporté sur les Gaulois, a fait construire l’autoroute de la nouvelle province et l’a inaugurée à dos d’éléphant, avant de créer Narbonne. Deux millénaires plus tard, un collectif régional veut faire revivre le chemin.
Tous les chemins mènent à Rome. Celui-là aussi. On le surnomma d’ailleurs camin roumieu. Mais il est resté dans l’histoire comme la via Domitia, ou voie Domitienne, du nom de l’Impérator Domitius.
Cnaeus Domitius Ahenobarbus, excusez du peu, consul de son état, était le vainqueur d’une invasion romaine en 121 avant Jésus-Christ, et dans la foulée le bâtisseur de ladite via Domitia qui relia l’Italie et sa via Aurélia à l’Espagne et sa via Augusta en longeant toute la côte euro-méditerranéenne en arc de cercle.

La voie romaine traverse aussi l’Hérault. / ML
Devenu proconsul, Domitius inaugura “sa” route en grande pompe et à dos d’éléphant et fonda Narbonne, future capitale de la province romaine. "La voie relie les provinces romaines de Cisalpine et d’Ibérie mais permet aussi et surtout de structurer la nouvelle province de la Transalpine, la future Narbonnaise", résume l’historien et archéologue héraultais Dominique Garcia, président de l’Inrap, dans le bel ouvrage L’extraordinaire aventure de la via Domitia en Occitanie (Suerte éditions, 28 €).
Peu ou prou la même ligne que l'A9
2 140 ans plus tard, que reste-t-il de la via Domitia ? Pour tout dire, pas grand-chose. Elle repose, paix à son âme, sous les couches de routes départementales et de l’autoroute A9. Mais des passionnés, des historiens et des archéologues se sont mis en tête de la réhabiliter, de la ressusciter (lire ci-dessous).

L'A9, très souvent, longe la via Domitia ou se superpose à elle. / ML, J-C Martinez
Il faut dire qu’elle n’est jamais très loin. L’autoroute actuelle emprunte peu ou prou sa ligne. "Intuitivement, pour tracer la Languedocienne (l’A9, NDLR) censée convoyer vers les plages du sud les touristes du nord, et dans l’autre sens les agrumes hispaniques, l’aménageur du territoire des années 1960 a suivi le même axe que les ingénieurs romains, de grands précurseurs", observe l’urbaniste Philippe Barjaud.
Et pourtant, les Romains n’avaient rien inventé. Avant eux, d’autres avaient déjà occupé le terrain routier. La voie héracléenne longeait d’encore plus près le littoral, au temps des Grecs, pour mieux passer par le port de Lattara (Lattes) et la colonie d’Agathé (Agde).
Cette route-là, dit la mythologie, était l’un – le dixième – des douze travaux d’Hercule, ou Héraklès… Hannibal l’emprunta, 100ans avant Domitius, pour ferrailler contre les Romains avec 40 000 hommes et une cinquantaine d’éléphants en guise de blindés.

Portion de Via Domitia à Narbonne / Ind, Christophe Barreau
Auberges et relais routiers
La via Domitia, plus près de nous et plus structurée, est restée dans les mémoires. Mais de l’eau a coulé sous les ponts, les ponts se sont écroulés et l’homme a reconstruit.
À ces variantes près, rien de nouveau sous le soleil du Midi, serait-on tenté de dire… La via Domitia était là, l’A9 en est la sœur quasi-jumelle. Les auberges ou les relais routiers (à Ambrussum et Loupian, par exemple) ont été remplacés par les sorties d’autoroute.
L’option prostitution était déjà en vogue à l’époque. Elle est encore possible sur le bord des routes ou à la Jonquera espagnole.

La Via Domitia à Ambrussum. / ML
BTP et génie civil
Les impôts et les péages finançaient la construction et l’entretien. Quant aux techniques du BTP et du génie civil de l’époque, elles ont certes un peu changé. La high-tech a remplacé le niveau à eau et le fil à plomb ; les ouvriers qualifiés les légionnaires et les populations locales ; l’asphalte les couches successives de terre, gravier et pierres.
N’allez pas croire pour autant que la via Domitia était pavée de bout en bout. Elle ne l’était qu’à l’abord des villes et dans leur centre. Le reste était recouvert de terre.
Les pots-de-vin romains existaient-ils déjà ? Oui, à en croire le procès fait à Fontenius pour concussion (la corruption d’alors), chargé par Pompée de gouverner la Gaule transalpine depuis Narbonne et qui aurait détourné de l’argent censé rénover la via Domitia…

Borne Milliaire sur la Via Domitia. / ML
L’avocat Cicéron prend sa défense et raconte lors de son procès en 74 avant J.C. : 'Il aurait tiré bénéfice de la réfection des routes, soit en n’exigeant pas ces travaux, soit en ne refusant pas des malfaçons." Version récusée par Cicéron, qui explique que Fontenius s’est reposé sur ses deux légats – façon fusibles –, mais que ces deux-là, de toute façon, sont eux aussi "à l’abri de tout reproche".
Bornes milliaires
De l’argent, il y en eut bel et bien pour entretenir la voie. Dans l’ouvrage La voie Domitienne, du Rhône aux Pyrénées (Drac, 2020, téléchargeable gratuitement sur internet) les auteurs évoquent "la continuité des investissements publics pendant plus de 500 ans" sur l’axe routier, jusqu’à l’époque carolingienne.

L'entrée de Nîmes a bien changé. / ML, Jean-Claude Golvin
Avec le développement de nouveaux centres urbains et des sièges épiscopaux, les routes se sont multipliées. Des chemins de pèlerins, également, ont pris le relais.
La via Domitia a peu à peu disparu du paysage. Ses bornes milliaires – de grands blocs de pierre d’un mètre ou deux répartis tous les milles (1,5 kilomètre) – ont été réutilisées pour des chapelles, des églises, récupérées par des châtelains dans leurs domaines.
Le goudron ou le béton ont remplacé la terre battue et la pierre. Même si la plupart des monuments romains ont été préservés à Nîmes, les entrées de ville (ci-contre le dessin de Jean-Claude Golvin avec la Tour Magne au loin) sont bien différentes. À Narbonne, la place de l’hôtel de ville offre quelques mètres de dallages préservés.
Sous les pavés, les pages des temps anciens. Ad vitam aeternam.

Sur le site de la Clotte, à Roquefort-les-Corbières. / ML, Jean-Claude Martinez
Le pari ressuscité de rouvrir le chemin romain
Via Domitia, tu ressusciteras ! Tel pourrait être le mantra d’une poignée de passionnés qui se sont mis en tête de faire à la fois revivre la voie romaine et le projet de Philippe Lamour dans les années 1980 : le haut fonctionnaire gardois voulait réhabiliter le tracé : "L’action de rénovation de cet extraordinaire itinéraire n’a pas seulement une grande valeur culturelle, soutenait-il. L’antique via Domitia doit aussi devenir l’élément fondamental du développement touristique régional."
Il avait créé une association, Via Domitia… En sommeil après sa mort, en 1992. Pourtant, la romanité a continué à faire parler d’elle, avec la création de trois musées dédiés, à Nîmes, Narbonne et Ambrussum.

L’ensemble remarquable des bornes de César à Beaucaire / ML, Jean-Claude Martinez
Les recherches archéologiques de Georges Castellvi ont aussi permis de confirmer deux variantes du tracé dans les Pyrénées-Orientales avec, en plus de la voie côtière, une voie intérieure par le col de Panissars et des ornières creusées dans le rocher pour permettre le passage des attelages… Et à son sommet les vestiges d’un monument romain d’envergure, le trophée de Pompée.
Mais rien de tangible pour promouvoir la voie elle-même. L’ex-président de Région, Georges Frêche, y fut sensible un temps. Sans que quoi que ce soit aboutisse. Les planètes semblent de nouveau alignées, malgré des bisbilles au sein de l’association Via Domitia.
Le photographe biterrois Jean-Claude Martinez s’est mis en tête de faire un travail autour de la voie. Historiens, archéologues et associations patrimoniales ont sauté sur l’occasion. Ainsi naquit le livre L’extraordinaire aventure de la via Domitia en Occitanie, publié en novembre dernier. "Pas une fin en soi", précise Jean-Claude Martinez, mais plutôt un début.

Lunel : le site d’Ambrussum, une source intarissable de l’histoire de l’Antiquité / ML, J.P.S.
L’idée : recréer un chemin pour piétons et vélos (avec un label chemin de grande randonnée) qui puisse irriguer la traversée du littoral languedocien et roussillonnais, tout en permettant de petits écarts pour rejoindre les sites culturels de la région liés à la romanité.
Un chemin de plus, à quoi bon, souffle-t-on à Jean-Claude Martinez… "Parfois, on brode un peu autour de ces tracés. Pourquoi le Stevenson est devenu un succès ? Parce qu’un gars, un jour, par dépit amoureux, a pris un âne. Là, on a déjà l’histoire. La via Domitia coche toutes les bonnes cases."
Ainsi renaîtrait le premier chemin de chars lancé en dehors d’Italie. Pour mieux pouvoir se dire : Philippe Lamour en avait rêvé, nous l’avons fait.

Gustave Courbet avait peint le pont Ambroix, à Villetelle. Le photographe Jean-Claude Martinez a reconstitué la scène avec la complicité d'un peintre. / ML
Dans le clan des Domitii, arrogance et violence
Dans la famille des Domitii, on ne fait pas les choses à moitié. Le fondateur de Narbonne "s’octroya sans autorisation du Sénat un triomphe privé en Gaule à dos d’éléphant", peut-on lire dans l’ouvrage Via Domitia et autres voies terrestres de la Narbonnaise.
Après lui, Lucius Domitius "donna des jeux du cirque si sanglants qu’il en fut réprimandé par Auguste, dont il avait épousé la nièce". De leur union naquit un autre consul célèbre pour avoir écrasé volontairement un enfant avec son char, époux d’Agrippine et père de Lucius Domitius ahernorbabus, le futur empereur Néron. Pas un tendre non plus…
Pour voir les reconstitutions graphiques historiques de Jean-Claude Golvin sur la romanité, consultez son site.

"Narbo Martius, renaissance d'une capitale" : reconstitution en images de synthèse de la ville romaine / ML

La Via Domitia / ML, SOPHIE WAUQUIER

Partagez sur les réseaux sociaux
Catégories
Autres publications pouvant vous intéresser :
Commentaires :
Laisser un commentaire
Aucun commentaire n'a été laissé pour le moment... Soyez le premier !