Il y a 40 ans, 10 mai 1981

10/5/2021

Il y a 40 ans, 10 mai 1981
Publié le 09/05/2021 à 06:53  | La Dépêche du Midi |  Jean-Claude Souléry

Chronique : Changer la vie


Le 10 mai au soir, la jeunesse est en liesse après l’annonce des résultats. AFP - GEORGES BENDRIHEM

Rarement autant de bonheurs que cette nuit-là. Autant d’espoirs. Autant d’embrassades, d’accolades, de champagnes ou de mousseux, autant d’histoires qu’on s’inventait, autant de joie de se sentir ensemble. 
C’était comme si nous changions de vie. Nous trinquions aux lendemains qui dansent, à cette part d’illusions qui nous était alors permise. Nous avions tant attendu, tant patienté durant les années pesantes du conservatisme, tant rêvé sans y croire qu’un jour ou l’autre nous ne serions plus les cocus de la démocratie, que nous bousculerions ce vieux monde, et que la justice veillerait enfin sur le pays. 

Et voilà, ce soir-là, nous avions gagné ! Les plus vieux, qui n’y pensaient plus, revivaient soudain leur jeunesse et la racontaient à tous, leurs anciens combats, leurs drapeaux froissés, leurs bals et leurs amours ; les plus jeunes, qui refusaient le doute et la sagesse, s’imaginaient déjà en aventuriers de l’histoire, ils cherchaient dans leurs farandoles militantes ce qui demain serait possible, autant dire tout, et même davantage. Nous vivions notre temps des cerises sans noyau.


Le 24 avril 1981, François Mitterrand en meeting à Verdun-sur-Garonne, en Tarn-et-Garonne / DDM

Ce 10 mai, nous étions une bonne douzaine – Daniel, Michel, Robert, d’autres prénoms encore –, réunis dans une maison de banlieue, nous ignorions l’heure qu’il était, mais déjà le jour venait par les fenêtres, nous étions fatigués d’avoir parlé, crié, chanté, de nous être embrassés, ivres de bulles dans nos verres et de projets dans nos têtes, ivres aussi d’avoir vécu comme des grands cette date qui ferait date. Cette nuit-là, l’avenir nous semblait tout tracé. C’est resté dans ma mémoire.

Donc le 10 mai 1981, il y a quarante ans. Mitterrand Président ! La gauche, pour la première fois depuis tant de temps et tant de nuits, allait gouverner la France et, par voie de conséquence, changer la vie, notre vie. Ce rêve entrevu d’une démocratie rose autorisait ainsi un lyrisme de quat’sous dont nous ignorions qu’il datait déjà d’un siècle.


Yvon Montané, responsable de la campagne de Mitterrand en 1981 : « On votait pour le changement et on l’a eu » / DDM, Philippe Bataille

Et, aujourd’hui, quarante ans plus tard, nous avons franchi un siècle, peut-être deux, nous sommes redescendus du rêve entrevu, nous avons repris nos règles, nos cartables, nos outils et notre carte d’identité, nous pouvons circuler aimablement dans nos rues qui ont tellement changé, nous n’avons pas forcément besoin d’un GPS encore moins d’un programme commun, nous nous laissons guider par l’habitude, et, si nous avons laissé en route une part de nous-mêmes, si nos corps ont encaissé les coups de la vie qui va, si nos parfums d’avant-hier se sont dilués dans un confort illusoire, c’est que nous avons peu à peu pris conscience, et sans doute lâchement, que ce bonheur d’il y a quarante ans n’a scintillé qu’un instant, comme une belle et simple étoile, là-haut, tout là-haut, trop là-haut.



La gauche, en effet, a gouverné la France. Combien de temps ? Un soir à peine – le 10 mai, ce soir-là ? Deux ans sans doute (nationalisations de banques et de secteurs industriels, retraite à 60 ans, 5e semaine de congés payés, semaine de travail de 39 heures, augmentation de 10 % du salaire minimal, impôt sur les grandes fortunes, décentralisation, abolition de la peine de mort, radios libres) – deux ans, le temps de ranger la marche de nos utopies qui, paraît-il, menait le pays à la ruine ? Mais non !
 


La gauche a gouverné bien plus longtemps, me disent mes amis militants. Les années Mitterrand, les années Jospin et les années hollandaises – comme s’il s’agissait d’un interminable catalogue, d’un même acharnement à conforter nos libertés, à transformer la société, à cumuler quelques audaces et tant d’hésitations.
Où se cache-t-elle, la gauche, en ce 10 mai 2021 ? Que fait-elle ? Et qui osera nous promettre de changer la vie ?


  Long Format de Vosges Matin :  

Il y a 40 ans, l'élection de François Mitterrand : ils se souviennent de ce 10 mai 1981


Le 21 mai 1981 à Paris, sur les Champs-Elysées à Paris. / AFP - STF


 
 

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