Décès de Louis Lareng, créateur du Samu

5/11/2019


Publié le 03/11/2019 à 15:29  | La Dépêche du Midi |  Dominique Delpiroux

Le Toulousain Louis Lareng, créateur du Samu, est mort à 96 ans


Louis Lareng en avril 2012. / Photo DDM, Sébastien Lapeyrère

Le professeur toulousain Louis Lareng, créateur du Samu, s'est éteint ce dimanche à l'âge de 96 ans. Il était né en 1923 à Argelès-Gazost dans les Hautes-Pyrénées.

C'est un immense personnage qui vient de disparaître avec Louis Lareng, créateur du Samu. Un grand médecin, qui, sa vie durant, n'a cessé de chercher à améliorer le sort de ses contemporains, à innover pour rendre l'acte médical plus efficace, à briser la chaîne de la souffrance au plus vite. Un homme à qui on doit très certainement, des milliers de vies sauvées à travers le monde. On le savait fatigué : il vient de nous quitter à l'âge de 96 ans. 

Pensait-il être indestructible ? Sans doute. Comme si travailler encore et toujours pouvait faire reculer l'inéluctable. Comme s'il était possible de se battre contre tout, même l'inévitable... 

Une anecdote permet de cerner le personnage. En 1999, en pleine guerre du Kosovo, un beau matin, très tôt, Louis Lareng appelle La Dépêche du Midi. « Je reviens d'une mission en Macédoine, avec des intervenants de la région, il faut faire un article ! » Une demi-heure plus tard, nous étions dans son bureau encombré de dossiers et de cartons, au rez-de-chaussée de l'Hôtel-Dieu à Toulouse. Il nous attendait avec un sourire un peu las.


Louis Lareng en novembre 2018. - Photo DDM, Michel Viala

Calmement, il nous a raconté comment pendant plusieurs jours, il avait coordonné une mission humanitaire qui n'était pas de tout repos, en Macédoine. Il s'agissait d'apporter de l'aide logistique et médicale à un camp de réfugiés kosovars où tout faisait défaut, sauf la peur, qui rôdait comme les lointains bombardiers qui déchiraient le ciel. Il y avait bossé avec des équipes de Haute-Garonne et du Lot, des médecins, des infirmiers, des pompiers, aguerris, efficaces... Une mission, en principe,  sécurisée, mais dans un territoire où tout peut arriver.

L'interview terminée, il est onze heures du matin. Louis Lareng soupire : « Bon, je vais aller faire une petite sieste. Parce que là, on vient d'arriver de Marseille, où les avions militaires nous avaient déposés en pleine nuit... » On a à peine le temps de s'étonner lorsqu'il poursuit : «  Et puis, là-bas, on avait des lits de camp, sous la tente... » fait-il avec une grimace, en se tâtant les reins. Il avait à l'époque, 76 ans !


Un documentaire sur le professeur Louis Lareng diffusé sur France 3 / Photo DDM. Michel Viala

Sa mère meurt de la tuberculose
Rustique, tout terrain, pugnace et increvable ! Ainsi était Louis Lareng. Il faut dire qu'il était né dans un rude endroit, à une rude époque. Il voit le jour à Argelès-Gazost, dans les Hautes-Pyrénées, le 8 avril 1923, et ses parents habitent le petit village d'Ayzac-Ost, un nom qu'il prononçait avec délectation, avec son indomptable accent de la Bigorre.

En ce temps-là sévissait une maladie qui hantait les familles : la tuberculose. Elle a emporté la mère du petit Louis, quand il n'avait que deux ans. « Je n'ai jamais pu l'embrasser, on la voyait derrière une vitre » se souviendra-t-il. Allez savoir si cela ne donne pas une furieuse en vie de soigner les gens ? 

Aussi, il sera élevé par sa tante Julie, qui travaille dans la pharmacie du village.  Lui, est enfant de chœur et doit servir la messe à sept heures. Avant de filer à l'école où il faut qu'il allume le poêle. « J'étais un petit paysan » nous avait-il confié.


Louis Lareng en 1980. - Photo DDM

Professeur de médecine, anesthésiste, il invente le Samu
Dans ce village, l'instituteur à l'œil, et le bon. Et aussi l'oreille : il n'hésite pas à donner des grands coups de règles sur les doigts, lorsque les élèves se mettent à parler patois !  Il sait aussi détecter les potentialités. Ce « Monsieur Coatriné »  va se débrouiller pour faire obtenir des bourses à son jeune élève, et lui permettre d'être admis au lycée Théophile-Gautier à Tarbes «  On était très peu nombreux, on était entièrement pris en charge, la pension, les livres... »

Quand la tante Julie apprend que le petit Louis va entrer en médecine, elle est ravie. Elle ne doute pas un instant qu'il reviendra quelques années plus tard à Ayzac-Ost, pour devenir médecin de campagne. Le destin, et sûrement aussi le talent et la compétence, vont en décider autrement.


Le Samu 31 est très bien installé / Photo DDM, Michel Bordas

« Ne plus transporter le blessé à l'hôpital, mais transporter l'hôpital au pied du platane »
Car Louis Lareng est reçu à l'internat, ce qui va déterminer sa carrière universitaire : assistant, chef de clinique, agrégé, et enfin professeur. Sa spécialité, c'est l'anesthésie. Qui dit anesthésie, dit presque en même temps « réanimation », et notamment réanimation respiratoire. Or, dans les années soixante, une épidémie de poliomyélite qui sévissait dans les pays nordiques, menace la France. Cette sale maladie entraîne des paralysies, souvent respiratoires. Ainsi, on a mobilisé les médecins français sur la réanimation respiratoire, au cas où... « L'épidémie n'a pas eu lieu, racontait Louis Lareng, mais cela m'a donné une idée par rapport aux accidents de la route où les victimes mourraient d'arrêt respiratoire : si seulement on avait pu être là, au bon moment ! »

C'est ainsi que va naître le Samu, avec cette formule devenue célèbre : « Ne plus transporter le blessé à l'hôpital, mais transporter l'hôpital au pied du platane ».
Car entre-temps, une autre épidémie, bien plus grave, déferle sur la France : les morts sur la route. Cela paraît difficile à imaginer, mais en 1968, lorsque va naître le Samu, il y a 16 000 tués et 300 000 blessés sur nos routes. En 2018, le chiffre est passé à 3259 tués, cinq fois moins avec quatre fois plus de voitures.

Au début, l'idée d'envoyer des toubibs sur le théâtre des accidents fait grincer des dents. La hiérarchie médicale, tout comme les instances de la protection civile n'y croient pas. D'ailleurs, il était interdit aux médecins des hôpitaux d'en sortir pour exercer. Louis Lareng va contourner la loi. Et sortir, en catimini, avec quelques complices. Pour aller justement au pied de l'arbre, faire son boulot de « réanimateur », placer des tubes et des perfusions dans les fossés, lancer un massage cardiaque sous le nez des vaches, rafistoler les corps meurtris sur le bitume, à la lueur des gyrophares.


Louis Lareng, un homme d'action. - Photo DDM, Michel Labonne

L'exemple venu de Toulouse sera repris dans le monde entier
Cela se sait. Et cela ne plaît pas. Il est même question d'appliquer des sanctions à Louis Lareng et à son équipe. Le hasard, malicieux, fait que, lors d'une de ces sorties, le Samu clandestin sauve la vie d'un jeune accidenté. Dont le papa était membre du jury censé sanctionner Louis Lareng...

La démonstration était faite : le service a pu se constituer en toute transparence, et se déployer avec plusieurs véhicules et un hélicoptère. 
Voilà pour le terrain. La deuxième idée-force du Samu, et Louis Lareng y tenait beaucoup, c'était l'idée de régulation : en cas d'accident, c'est un médecin qui est au bout du fil. Qui évalue la situation, et envoie les secours en fonction de la gravité... et des moyens disponibles. 

Le concept va permettre de sauver ainsi des milliers de vies en quelques années. Il va faire tache d'huile et l'exemple toulousain sera repris dans le monde entier. Pourtant, Louis Lareng a dû attendre d'être député pour défendre lui-même son bébé (qui avait déjà une vingtaine d'années!) devant l'Assemblée nationale, avec la loi de février 1986, qui a inscrit les Samu dans le marbre.


Louis Lareng, en 2012, aux archives de La Dépêche du Midi, à l'occasion du tournage d'un film sur lui / DDM - NATHALIE SAINT-AFFRE

Député PS et conseiller municipal à Toulouse
Car Louis Lareng a aussi tâté de la politique. Né en terre « rad-soc », éternellement fidèle à la gauche, il est très fier d'avoir été conseiller municipal de son village d'Ayzac-Ost dès 1951, avant d'en être le maire de 1965 à 1977. Il sera aussi conseiller municipal de Toulouse, dans l'opposition face à Dominique Baudis, et député PS de la Haute-Garonne entre 1981 et 1986. Enfin, il est conseiller régional PS de 1986 à 1992, en charge des transports. À plusieurs reprises, on lui a proposé le ministère de la Santé ; il préférait rester à Toulouse.

Au fil du temps, le Samu est devenu un outil particulièrement performant. Et on a vite compris qu'il pouvait s'appliquer à bien d'autres cas d'urgence ou de crise que pour les accidents de la route. Ainsi, on a retrouvé Louis Lareng sur les théâtres de grandes catastrophes ou de guerre. On l'a vu, en Macédoire, pour les Kosovars, mais aussi lors de grands tremblements de terre, en Arménie ou en Algérie. Ses méthodes sont utilisées dans toutes les pires situations à travers le monde.

Et puis, faut-il rappeler que lors de l'atroce nuit du 13 novembre 2015, pendant les attentats de Paris, le Samu a pu sauver de nombreuses victimes. Le hasard avait voulu d'ailleurs que le matin même, les équipes du Samu avaient simulé, lors d'un exercice, une attaque massive en plusieurs endroits !


Louis Lareng engagé à gauche avec François Hollande en 2018 à Toulouse. - Photo DDM, Xavier de Fenoyl

Il découvre la télémédecine au Canada
Louis Lareng a piloté les premières années du Samu. Et il s'est tourné vers d'autres techniques. Lors d'un voyage au Canada, il découvre la télémédecine. Comment faire dialoguer à distance des praticiens sur un cas, sur un patient ? Comment permettre à l'hôpital de campagne de bénéficier des conseils des meilleurs spécialistes d'un CHU, sans qu'il soit besoin de transporter le malade ?  Comment analyser à distance des radios, des scanners ? C'est en 1989 que Louis Lareng crée l'institut de télémédecine : ces derniers mois, il était ravi de voir que le gouvernement d'Emmanuel Macron était en train de mettre en pratique des idées qu'il défendait depuis des années.

Enfin, Louis Lareng qui n'a pas manqué les évolutions de la technologie actuelle, mettait ces dernières années sur les rails l'espace numérique de santé, une sorte de dossier médical personnalisé censé suivre désormais un patient de plus en plus nomade.

Il expliquait que c'était le travail, qui le maintenait en forme. Fut une époque où il ne quittait pas son bureau avant minuit, et le professeur, réveillé chaque jour à cinq heures, n'en était pas moins très matinal. Tout aussi matinale a dû être son épouse Blanche, avec qui il s'était marié en 1952, et qui de son côté fera une brillante carrière comme professeur en bactériologie.


C'est de son vivant qu'un des pavillons de l'hôpital Purpan, inauguré le 7 octobre 2008 a été baptisé de son nom. / DDM

Pour ses confrères toulousains, c'est un monument respecté et admiré
Ces dernières années, une santé un peu plus précaire avait incité Louis à ralentir ses nombreuses activités. Vaille que vaille, il y revenait, fidèle à son intransigeance. Et ne laissait pas vide son fauteuil, dans son bureau de l'Agence régionale de Santé, sous l'œil bienveillant de ses assistantes.

La création du Samu fait de Louis Lareng un des géants de la médecine au XXe siècle. Pour ses confrères toulousains, c'est un monument, comme on n'en a jamais connu, et comme on n'en connaîtra certainement plus jamais. Il était infiniment respecté et admiré, tant pour ses compétences et son œuvre que pour son incroyable capacité de travail. Il était dans le métier d'une rigueur extrême et certains de ses subordonnés ont encore en mémoire son accent déferlant lorsqu'il se mettait en colère. Hélas pour eux, le « patron » avait rarement tort !

Cela ne l'empêchait pas pour autant d'être profondément humain, attentif aux autres, prévenant. On pouvait compter sur « Loulou », comme le surnommaient affectueusement ses proches. Un vrai toubib, qui pouvait surgir avec le vaccin anti-grippe dans la poche, auprès de quelque ami fragile ou récalcitrant.


Le professeur et son équipe devant un hélicoptère du Samu. / DDM

Il défendait les idées de progrès social et d'une société plus fraternelle
Un cœur fidèle qui savait prendre des nouvelles. Et un homme qui savait être humble, n'ayant jamais renié ses racines. Un humaniste qui en politique, a eu à cœur de défendre des idées de progrès social et d'une société plus fraternelle. Il pouvait être tout à fait à son aise en discutant avec un ponte des meilleures universités américaines, un agriculteur de Bigorre, François Mitterrand ou bien encore avec le pape François, comme cela lui était arrivé récemment.

Il était un exemple de l'ascension républicaine, issu d'un modeste village de montagne, orphelin et boursier, et qui a fini par accumuler tous les honneurs : professeur de médecine, président de l'université, député, grand officier de la légion d'honneur, officier dans l'ordre du mérite, commandeur dans l'ordre des palmes académiques... Plus symbolique encore : c'est de son vivant qu'un des pavillons de l'hôpital Purpan, inauguré le 7 octobre 2008 a été baptisé de son nom !

Au moment où la vie lui échappe, sans doute aura-t-il songé aux milliers d'autres vies qui, grâce à lui, ont été ainsi sauvées, au petit matin, en pleine nuit, sous l'orage ou la canicule,  « au pied de l'arbre » 


La salle principale du centre de réception et de régulation des appels du Samu 31. / DDM, Frédéric Charmeux
 

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