Grand Sud : La Méditerranée proche du «burn out»
Publié le 25/01/2016 à 07:33 | La Dépêche du Midi | Dominique Delpiroux
L'édito : Mare nostrum
La mer Méditerranée / Carte expo.oceano.mc
Tout s'est joué là, autour de cette grosse mare qui représente à peine 1 % des océans de la planète. Notre civilisation est née entre les colonnes d'Hercule et le delta du Nil, entre les îles de la Mer Égée et les rives du Golfe du Lion, dans le port de Phocée, à la bibliothèque d'Alexandrie, dans les ruines de Carthage. Un vrai bouillon de cultures grecque, latine, celte, égyptienne, arabe, minoenne, corse ou chypriote, chanté par Homère, Virgile ou Albert Camus.
Mais aujourd'hui, si c'était Baudelaire qui avait raison ? On connaît la première phrase de son poème «Homme libre, toujours tu chériras la mer », en oubliant la fin, tragique, et aujourd'hui prophétique :
« Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous (l'homme et la mer) combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables ! »
Le fait est que cette mer, nous la malmenons. Et dans le combat décrit par Baudelaire, nous sommes en train de vaincre… tout en perdant.
La gestion des déchets pose problème sur les bords de la Méditerranée / Photo DDM
Vaincre, parce que cette Méditerranée, nous l'avons mise en coupes réglées : nous avons siphonné avec d'énormes filets, ses réserves de poissons. Nous avons fait fuir les cachalots et les dauphins. Nous la sillonnons avec d'énormes pétroliers ou des navires de croisière insolents. Nous l'avons entourée d'une muraille de marinas, d'hôtels et de restaurants, de boutiques, de ports et de parcs nautiques. Et maintenant, nous nous attaquons à son sous-sol, certains que nous sommes d'y trouver encore et encore des trésors : pétrole, gaz, métaux précieux et autres nodules qui font rêver les actionnaires des compagnies minières.
Oui, nous avons vaincu les terreurs des Anciens, qui sacrifiaient aux dieux avant d'affronter Poséidon et ses colères. Nous n'avons plus peur ni des sirènes, ni des tempêtes, ni de Charybde ou de Scylla. Même si, à l'occasion, la mer se venge et envoie un Costa Concordia par le fond.
En même temps, nous avons perdu le sens de la mesure. Et nous sommes à deux doigts de transformer la Méditerranée en poubelle stérile et en autoroute maritime. Cent cinquante millions de personnes vivent au bord de ces rivages, et elles seront bientôt 200 millions : que leur réservons-nous ?
Il faut d'urgence qu'une instance qui serait supranationale – pourquoi pas l'Europe ? – prenne par l'oreille à la fois les pays et les opérateurs privés, à la fois les populations et les pêcheurs, les collectivités territoriales et les armateurs pour établir des règles du jeu, qui soient respectées par tous.
La Méditerranée a déjà beaucoup donné, on est en train de la tuer. En commettant ce crime, on assassinera aussi une civilisation. Car cela entraînerait de tels bouleversements pour les riverains que des révolutions seront à redouter. Nous n'avons qu'une mer. Notre mer.
Publié le 25/01/2016 à 10:07 | La Dépêche du Midi |
La grande bleue proche du «burn out»
Côtes méditarranéennes françaises / Photo DDM
Entre le transport maritime, le tourisme, l'aquaculture, la prospection pétrolière, la Méditerranée cumule de plus en plus d'activités humaines qui fragilisent son équilibre écologique. C'est ce que souligne un rapport du WWF qui appelle à une concertation pour éviter l'asphyxie.
La Méditerranée en quelques chiffres ? 40 % de sa surface sera concernée d'ici 2030 par les explorations d'hydrocarbures. Le trafic maritime sera multiplié par deux d'ici 2030. Cinq cents millions de touristes se masseront alors sur ses rives. Et 5 000 kilomètres de littoraux auront été bétonnés d'ici dix ans.
«La Méditerranée est sur le chemin du «burn-out». Aujourd'hui, la multiplication et la croissance des activités économiques sur cette zone s'apparentent à un véritable Far West. Nous ne pourrons éviter l'implosion, soutenir nos économies nationales et promouvoir une économie bleue qu'à travers une gestion intégrée de l'espace marin», affirme Giuseppe Di Carlo, directeur de l'Initiative Marine Méditerranée du WWF. «Pour créer une économie méditerranéenne durable, affirme-t-il, les industries, les gouvernements, la société civile et toutes les parties prenantes doivent construire ensemble une vision réconciliant croissance économique et gestion des ressources».
Lancée en 2014, et rendue publique récemment par le WWF, l'étude MedTrends (Croatie, Chypre, France, Italie, Grèce, Malte, Slovénie et Espagne) s'est astreinte à cartographier les scénarios intégrés les plus probables de croissance économique marine dans les pays méditerranéens de l'UE pour les 20 prochaines années. L'impact potentiel des activités humaines en mer a été évalué et mis en perspective avec l'objectif des 10 % d'aires marines protégées et l'objectif du Bon Etat Écologique fixé par la Directive stratégique cadre pour le milieu marin européenne.
Plus de plastique que de poissons !
206 kg de déchets plastiques sont déversés dans les océans chaque seconde / Photo DDM RelaxNews
Ce constat dressé par le WWF a précédé de quelques jours un rapport dévoilé par le forum de Davos, selon lequel il y aura plus de plastique que de poisson dans les océans en 2050. De 80 à 120 milliards de dollars d'emballages plastiques sont perdus chaque année. Les déchets que l'on retrouve le plus souvent sont les mégots de cigarette, les emballages container, les bouteilles et les sacs plastiques. Seulement 20 % de ces déchets proviennent des activités maritimes. Les 80 % restant proviennent de la terre : emportés par les vents ou les rivières, ils finissent dans la mer et les océans.
La France a d'ailleurs décidé d'interdire la distribution des sacs plastiques dans les commerces à partir du mois de mars prochain. La Méditerranée n'échappe pas à cette invasion de plastique, même si elle n'abrite pas le tragique «7e continent», qui, dans le nord Pacifique, rassemble des déchets sur 3,5 millions de km2, sept fois la surface de la France !
La Méditerranée, c'est aussi chez nous. La nouvelle équipe du conseil régional a des ambitions pour ce littoral trop souvent maltraité, et affiche l'ambition d'un développement raisonné sur les côtes.
Pour que nous puissions encore pêcher et nous baigner dans cinquante ou cent ans dans une grande bleue qui ne soit pas une poubelle.
Publié le 25/01/2016 à 08:20 | La Dépêche du Midi | Christine Roth-Puyo
Les 4 dossiers urgents de la Méditerranée
Porte-conteneurs / Photo DDM
Transports : une gigantesque autoroute maritime
Pétrolier / Photo DDM, AFP
Le risque de pollution dû au transport maritime figurait déjà dans le rapport 2011 du sénateur Roland Courteau consacré à l'état de la Méditerranée. En 2006 (étude de la Lloyd's), on dénombrait déjà 31 000 routes maritimes effectuées par 13 000 navires par an, 250 000 escales de navires de plus de 100 000 tonnes et 10 000 navires en transit par an. Les pétroliers avaient effectué 4 229 voyages en charge, transportant 420 millions de tonnes de pétrole brut dont 72 millions de tonnes en transit.
Aujourd'hui, près du tiers des échanges mondiaux y transitent et la Méditerranée est devenue en quelques années la deuxième région de croisière du monde avec 27 millions de passagers par an. Ces activités qui sont appelées à se développer dans les années à venir, tant en raison de la multiplication du nombre de routes que de l'intensification du trafic (élargissement du canal de Suez), «vont inévitablement aggraver les pressions diverses exercées sur les environnements marin et côtier», indique le WWF.
«Le transport maritime est en effet responsable de nombreuses perturbations nuisant gravement aux espèces et aux habitats marins et littoraux : pollution, collision avec les grands cétacés, déchets marins, bruit sous-marin et introduction d'espèces non-indigènes, pour ne citer qu'elles».
À plus long terme, l'exploitation minière est un autre point noir. Des gisements de sulfure ont été identifiés à proximité des littoraux italien et grec, respectivement près de la Calabre et en mer Egée. Mais les fonds marins devraient aussi fournir nodules polymétalliques, cobalt, cuivre, nickel, plomb, zinc… Vous avez dit Mare Nostrum…
Les hydrocarbures exploités à outrance
Plateforme pétrolière / Photo DDM, DR
20 avril 2010. Ce jour-là, l'accident de la plate-forme Deepwater Horizon fait 11 morts et laisse échapper pendant près de quatre mois, 4 millions de barils de brut. A toute chose malheur est bon dit-on et, de fait, cette catastrophe a marqué le début d'une prise de conscience sur les dangers qui menacent la Grande bleue. En 2011, le sénateur de l'Aude Roland Courteau présente un premier rapport de l'OPECST (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques) sur la pollution en Méditerranée. On y apprend que cette mer semi-fermée compte déjà une soixantaine de plateformes d'exploitation d'hydrocarbures (pétrole et gaz) en Italie, Tunisie et Lybie et que beaucoup de projets de forages à des profondeurs supérieures à 1 000 mètres sont dans les cartons. D'ailleurs, un projet de plateforme menace jusqu'aux calanques marseillaises au large des parcs nationaux de Port Cros où poussent les magnifiques herbiers de Posidonie et se reproduisent des espèces protégées.
En avril 2015, le constat global ne s'est pas amélioré : «40 % de la Méditerranée sont potentiellement ouverts à l'exploration d'hydrocarbures. C'est énorme, surtout lorsque l'on connaît les risques sismiques de la région», indique Pascal Canfin, directeur général du WWF France. Une énorme menace plane donc sur cette mer réceptacle de 4,6 % des réserves planétaires de pétrole et de gaz. Selon le WWF, la production pétrolière en mer pourrait progresser de 60 % entre 2010 et 2020 quand la production de gaz pourrait être multipliée par cinq entre 2010 et 2030.
En 2011, le premier rapport du sénateur Courteau sur le sujet ne disait pas autre chose. Cinq ans ont passé et la Méditerranée continue d'être pillée et saccagée.
Pêche : des fonds raclés jusqu'à l'os
Sardines et anchois connaissent d'énigmatiques problèmes de croissance / Photo DDM, Roger Garcia
La multiplication des bancs de méduses chaque année jusqu'à l'invasion ? Les scientifiques sont formels, ces phénomènes sont des signes vraisemblables d'une dégradation du milieu marin. Exploitation minière des fonds, extraction d'hydrocarbures, pollution terrestre et trafic maritime y sont pour beaucoup. Mais la surpêche pourtant seul domaine en perte de vitesse, a aussi sa part.
En Méditerranée, qui couvre 1 % des océans mondiaux et abrite près de 9 % de la diversité biologique marine (17 000 espèces recensées), plus de 40 espèces de poissons sont menacées. Pour le seul thon rouge, «il y a eu une baisse d'environ 50 % du potentiel de reproduction au cours des 40 dernières années en raison de la surpêche intensive», explique Kent Carpenter à l'UICN (Union Internationale pour la conservation de la nature). Les requins qui sont chassés pour leurs ailerons avant d'être jetés après découpe et les raies sont aussi durement menacés. Tout comme le mérou et le merlu. Quant au phoque moine, il a quasiment disparu et six autres espèces de mammifères marins sont menacées d'extinction.
Les lignes de pêche, filets de chalutage, et autres filets dérivants ont fait leur œuvre… Y compris sur la pêche artisanale qui peine à ramener de quoi remplir l'assiette. Mais un autre danger menace. La baisse des stocks de poissons pourrait en effet favoriser le développement de l'aquaculture. En France l'Ifremer s'attache à une aquaculture responsable. En Grèce, entre autres, antibiotiques et produits chimiques sont largement dispensés aux espèces élevées. Cette production est passée de 540 000 tonnes en 1990 à 1,4 million de tonnes, et dépasse la pêche.
500 millions de touristes en 2030
Le paquebot de croisières "Voyager of the seas" à Marseille. Patrick Valasseris AFP
Le succès du bassin méditerranéen, qui reste la première destination touristique dans le monde, n'est pas près de se démentir. Entre 2015 et 2030 les arrivées de touristes internationaux devraient croître de 60 % pour arriver à 500 millions en 2030. Cet afflux constitue une source de revenus indispensable pour les cinq pays africains, les cinq asiatiques et les 11 européens, riverains du bassin. Mais sur cette côte où 90 % de la biodiversité se situe dans les 200 premiers mètres de la frange littorale, le succès se paie cash. 42 % du littoral est déjà bétonné et, «par rapport à 2005, 5 000 km de littoral côtier vont être artificialisés d'ici 2030, à l'échelle de toute la Méditerranée», indique le rapport du WWF.
En France, ce littoral qui s'étire sur 1 960 km, est le plus bétonné et artificialisé de France (61 %). Les concessions de plage, les ports et leurs marinas n'ont cessé de le grignoter provoquant ce que l'on appelle un mitage de la bande côtière. Et la côte d'Azur – 11 millions de touristes par an – n'est pas loin d'être comparée à un mur de béton.
À cela s'ajoute forcément la question de la gestion des déchets et des pollutions, à plus de 90 % d'origine terrestre : 250 milliards de microplastiques qui font de la grande bleue la mer la plus polluée du monde.
Enfin, le tourisme pose la question de l'eau : chaque touriste consommant environ 300 litres par jour (jusqu'à 880 pour le tourisme de luxe) soit le double des populations locales. Le Club Med, l'Espagne, Malte, et l'Égypte développent des process pour réutiliser les eaux usées. Ce qui ne reste, pour l'heure, qu'une goutte d'eau dans un océan de vie menacé.
Publié le 25/01/2016 à 08:21 | La Dépêche du Midi | Recueilli par Dominique Delpiroux
«Il faut faire vite, sinon, on en paiera le prix»
Isabelle Autissier, navigatrice, présidente du WWF France
Qu'est-ce qui a incité le WWF à se pencher sur la Méditerranée ?
Pour nous, la Méditerranée est un «hot spot», un des points chauds de la biodiversité dans le monde. Cette mer ne représente que 1 % de la surface des mers du globe, mais en revanche, elle rassemble 10 % de la biodiversité des espèces marines. Et puis, plus généralement, on retrouve concentrés en Méditerranée tous les problèmes attachés à la mer et aux océans : pollutions, développement, vie des hommes. Quand on s'intéresse à la Méditerranée, on constate que c'est une zone emblématique, très peuplée, avec un fort tourisme et des activités humaines qui ont explosé. Il fallait donc que tous les organismes liés à l'environnement unissent leurs forces pour avoir une vision globale de la Méditerranée et savoir où elle va. Car si on ne parvient pas à avoir cette prospective, alors, la mer ne s'en sortira pas.
À partir de quelles données avez-vous réalisé votre rapport ?
Nous sommes déjà sur le terrain. Nous avons une équipe du WWF à Marseille, qui recueille des données depuis longtemps. Nous avons aussi des groupes du WWF en Espagne, en Italie, en Grèce, etc. Mais les travaux qui ont été réalisés n'avaient pas jusque-là été croisés. On disposait de données très éparses, et le gros du travail a été de compiler tout cela. Cela donne des résultats qui sont parfois inquiétants : ainsi, on sait désormais que des autorisations de prospections pétrolières ont été accordées par les différents États pour 40 % de la surface de la Méditerranée, presque la moitié. C'est énorme ! Ce sont des autorisations données par les États au coup par coup, sans vision commune.
Nous avons aussi rassemblé des éléments provenant des régions, agences de l'eau, États, de l'Union européenne, etc.
L'érosion menace les côtes / Photo DDM
Pour vous, qu'est-ce qui est le plus alarmant ?
Précisément, cette absence de vision globale : on fait semblant d'ignorer que, par exemple, une urbanisation et un assèchement du littoral auront des impacts sur la pêche locale. Lorsqu'on procède à des prospections minières ou pétrolières, c'est en utilisant des tirs très violents entraînant des ondes sismiques, qui ont un impact sur la vie marine. La Méditerranée est la deuxième route maritime au monde : la présence d'autant de navires n'est pas sans risques, sur les poissons, les écosystèmes, mais aussi sur les touristes ! Les visiteurs préfèrent les baleines aux pétroliers.
Faut-il réduire ces activités ?
Nous ne sommes pas contre le fait qu'il y ait des activités humaines, mais attention aux conflits ! Les activités des uns ne doivent pas gêner les activités des autres. Ainsi, dans le Golfe du Lion, on veut à la fois lancer de la prospection pétrolière, créer des marinas pour les touristes et relancer la pêche côtière sur le littoral : soyons clairs, on ne pourra pas faire les trois en même temps ! Il est grand temps de mettre tout le monde autour d'une table : l'Europe, les gouvernements, les régions, les professionnels de tous les secteurs, un véritable dialogue transversal, car c'est aujourd'hui qu'il faut prendre des décisions, si on veut garder une mer en bonne santé. La France a fait des efforts avec des aires marines protégées, mais elle ne doit pas rester seule. Il faut faire vite, sinon les populations riveraines vont en payer le prix.
Sète fête en 2016 les 350 ans de son port / Photo DDM
Sélection d'articles réalisée à partir du site : http://www.ladepeche.fr
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