La Jonquera, eldorado des Français
La Jonquera, eldorado des Français
Publié le 17/08/2025 | Midi Libre | Jeanne Badaroux
"Ça vaut vraiment le coup, un paquet coûte la moitié de ce qu’on paie en France”…
La Jonquera ou l’eldorado consumériste des Français

De nombreux Français vont à la Jonquera pour faire des économies Jeanne Badaroux - Midi Libre
Chaque été, des milliers de Français franchissent la frontière pour se ruer sur les rayons de La Jonquera. Entre bonnes affaires et frénésie de consommation, le centre commercial se transforme en véritable temple de l’achat en masse.
Des cigarettes à moitié prix, des vêtements et parfums aux promos alléchantes : à la Gran Jonquera, le shopping se transforme en rituel presque incontournable.
Mardi 19 août, 10 heures. À quelques kilomètres de la frontière, le ruban d’asphalte s’allonge sous un soleil déjà lourd. Les voitures s’agglutinent, les klaxons résonnent : trente minutes de bouchon avant d’apercevoir le panneau “España”. Une scène familière pour des milliers de Français qui, chaque année, prennent la route vers ce sanctuaire de la conso low-cost.

"Les clients français ont peur des gendarmes"… Les ventes de tabac s’effondrent en Andorre depuis le début de l’année au profit de La Jonquera / Ind
“Elles sont à 183 euros, soit 50 balles de moins qu’en France"
La commune vit ainsi une double vie. D’un côté, une petite ville de 3 408 habitants, avec ses rues calmes, ses immeubles modestes et son rythme local. De l’autre, une immense zone commerciale, pensée presque exclusivement pour la clientèle transfrontalière. Tout ici parle français. Lors de l’agrandissement du Gran Jonquera, inauguré en octobre 2024, une réplique de la tour Eiffel de 37 mètres et une pyramide du Louvre ont même été installées pour accueillir les visiteurs.
Dans le dédale des parkings surchauffés, les enseignes internationales se succèdent. Nike, Zara, Mango : tout est calibré pour séduire. “Elles sont à 183 euros, soit 50 balles de moins qu’en France”, s’enthousiasme une mère de famille en brandissant une paire de baskets flambant neuves.

à La Jonquera / Ind, Michel Clementz
"On consomme, on se fait plaisir et de toute façon, on revient à Noël”
À quelques mètres, dans la queue interminable d’une parfumerie, Jérôme, 50 ans, vendeur originaire de Toulouse, profite de ses emplettes : “Les parfums, ça vaut vraiment le coup. On consomme, on se fait plaisir et de toute façon, on revient à Noël”. Autour de lui, des enfants chahutent, certains font tomber des boîtes de parfum, obligeant les clients à zigzaguer. La scène est presque chaotique : chaque allée résonne de téléphones portables. “Tu veux une ou deux cartouches, une ou deux bouteilles de lessive ?” entend-on partout, tandis que les chariots se remplissent de viandes, d’alcool et de shampoing.

L’extension du centre commercial outlet de La Jonquera a été inaugurée en octobre 2024 / Ind, Nicolas Parent
Le tabac, nerf de la guerre
Si les enseignes de mode et de parfumerie font recette, le véritable trésor reste le tabac. Carla, jeune perpignanaise, a ses habitudes : “J’habite à côté, je viens tous les deux mois pour acheter surtout des clopes mais aussi chips et alcool”.
Nicolas, lui, vient de beaucoup plus loin : la Champagne-Ardenne. “On descend une fois par an en vacances en Espagne avec ma femme et les enfants, raconte-t-il. Et au retour, on passe toujours acheter des cigarettes et de l’alcool. Ça vaut vraiment le coup : un paquet coûte la moitié de ce qu’on paie en France”.

Gran Jonquera / Ind, Nicolas Parent
"La différence n’est pas énorme. En Andorre, c’est plus intéressant."
Pour certains, pourtant, la déception pointe. Une mère de famille de Montpellier, qui compare les prix des produits de beauté, relativise : "Les grands formats, ça vaut un peu le coup, mais la différence n’est pas énorme. En Andorre, c’est plus intéressant". Elle repartira quand même avec son caddie chargé, comme tous les autres. Mais le prix des économies est parfois lourd. Alma, touriste lyonnaise, a attendu plus de 45 minutes à la caisse d’un supermarché : "Il faut vraiment être très patient et pas perdre ses nerfs avec ce monde", souffle-t-elle.

Gran Jonquera, dans le centre commercial © Thibaut Calatayud / Actu Perpignan
À Zara, trois jeunes filles sortent avec leurs cabas de papier kraft : "Ça, c’est 40 euros de moins qu’en France", sourient-elles en montrant leurs achats. Ici, le complexe est aussi et surtout une vitrine de la fast fashion : des collections entières, identiques à celles vues à Toulouse ou Béziers, mais à des prix taillés pour inciter à remplir les sacs sans trop compter.
Un pèlerinage bien rodé
Au fil des ans, La Jonquera est devenue bien plus qu’un simple centre commercial : un rituel. On y revient à chaque vacances. On y retrouve cette atmosphère unique, mélange d’excitation et de désordre, entre familles surchargées et touristes improvisés.
À la sortie, le flot des voitures se reforme. Les coffres débordent et la fatigue se fait sentir. La file d’attente s’étire vers la frontière, quarante minutes encore avant de rejoindre la France. Le temps, peut-être, de se demander si les économies valent les bouchons et le vacarme…

© Radio France - Margaux Munoz
"les ménages résidant près de la frontière économisent chaque année plusieurs milliers d’euros"…
Un économiste décrypte le phénomène
Jelloul Messaoudene, professeur d’économie-gestion en classes préparatoires D2 à Montpellier, analyse pour Midi Libre les mutations de l’économie frontalière catalane.
Comment l’économie de La Jonquera a-t-elle évolué
après la mise en place du marché unique en 1993 ?
Avant 1993, l’économie frontalière de La Jonquera était centrée sur les douanes. Avec le marché unique et la libre circulation des personnes, biens, services et capitaux, la ville a perdu des emplois, vu diminuer la création de richesse et fragilisé ses structures économiques et sociales. Elle s’est tournée vers le « commerce frontalier » avec la France, construisant des infrastructures logistiques (poids lourds, stations-service) et développant restauration et commerce, dont l’ouverture en 2013 d’un centre commercial de 12 000 m² avec 400 commerces pour 3 000 habitants. En 2023, cette dynamique a généré plus de 200 millions d’euros de dépenses étrangères et 6 à 7 millions de visiteurs par an.

© Radio France - Margaux Munoz
Quels sont les facteurs qui expliquent cet engouement économique et quels effets cela a-t-il sur la vie quotidienne des habitants ?
Plusieurs facteurs expliquent cette attractivité : une offre commerciale diversifiée comprenant centres commerciaux, boutiques de luxe et produits locaux, la flexibilité des horaires, la proximité des activités commerciales entre elles, ainsi que des écarts de prix avec la France qui attirent particulièrement les habitants des Pyrénées-Orientales. En économie, on parle d’"agglomération commerciale" pour qualifier cette configuration générant des externalités positives, comme celles dont bénéficie le musée Mémorial de l’Exil grâce aux activités marchandes. Ce modèle influence réellement le budget des familles : les ménages résidant près de la frontière économisent chaque année plusieurs milliers d’euros.

© Radio France - Margaux Munoz
Quelles conséquences cette situation génère-t-elle pour les deux côtés de la frontière ?
Du côté français, on observe des pertes fiscales ainsi que des impacts négatifs pour les entreprises proches de la frontière telles que buralistes, stations-service et supermarchés.. Pour La Jonquera, la modernisation des infrastructures dynamise la logistique et crée des emplois. Cependant, les visiteurs ne restent pas sur place, effectuant des allers-retours, ce qui limite les activités hôtelières et les recettes issues de la taxe de séjour. Le modèle économique reste donc essentiellement polarisé sur les activités commerciales du centre. Le revenu annuel moyen par habitant, environ 11 500 euros, reste inférieur à la moyenne catalane qui est de 15 500 euros.

© Radio France - Margaux Munoz
Partagez sur les réseaux sociaux
Catégories
Autres publications pouvant vous intéresser :
Commentaires :
Laisser un commentaire
Aucun commentaire n'a été laissé pour le moment... Soyez le premier !