Petit conte de Noël ariégeois
Publié le 25/12/2019 à 08:56 | La Dépêche du Midi |
Petit conte de Noël ariégeois en français et en occitan
Un barrejadís de fums emposonats escupits nuèit e jorn per unas chumenèias dètz còps pus gròssas que las de l’infèrn. / Images ©Pixabay
En cette période de Noël, vous avez envie de changer d’air ? Lisez ce conte écrit en occitan par Jean-Baptiste Fournié, et traduit en français par l’Institut d’Estudis Occitans d’Arièja
La dernière grande enquête réalisée sur les pratiques de la langue occitane en Midi-Pyrénées date de 2010.
À l’époque, 32 % des Midi-Pyrénéens déclaraient avoir au moins quelques notions d’occitan et 18 % indiquaient qu’ils étaient locuteurs de l’occitan. En Ariège, 5 % se considéraient comme bilingues, 19 % disaient avoir un niveau moyen, et 34 % des notions.
L’Institut d’Estudis Occitans d’Arièja, qui compte actuellement 104 adhérents, est une référence pour les plus fervents défenseurs de la langue. Mais aujourd’hui, les espoirs de transmission passent aussi par les rares écoles qui ont une classe en occitan… et par la Dépêche du Midi qui, en septembre 2019, a ouvert ses colonnes à une rubrique en occitan, tous les mercredis en page Ariègescope.
Petit conte de Noël ariégeois en français et en occitan
Rovaniemi, Laponie finlandaise / Photo Sud Ouest, Jonathan Nackstrand - AFP
L’année dernière, le Père Noël assoupi sur son traîneau, approchait de notre terre lorsque ses rennes se mirent à tousser, à s’étouffer si bien qu’ils ne pouvaient plus avancer. Le Père Noël se réveilla : "Mais enfin, que vous arrive-t-il ? Nous allons attendre que ça leur passe."
Mais les rennes n’arrêtaient pas de tousser et d’éternuer. Ils avaient maintenant les yeux qui pleuraient, le nez qui coulait comme la fontaine de l’oie et ils s’étouffaient. Avec beaucoup de difficulté, ils firent demi-tour et s’enfuirent comme ils purent vers les étoiles. Quand ils furent suffisamment loin, ils respirèrent à nouveau correctement.
"Ah, je suis soulagé. Je me demande ce qui vous a pris, dit le Père Noël, nous devons absolument livrer notre chargement avant demain matin."
Les rennes se remirent en chemin et une nouvelle fois, lorsqu’ils furent près de notre terre, une toux encore plus terrible s’empara d’eux. Ils avaient des démangeaisons dans la gorge et ils toussaient affreusement […] ils étaient sur le point de s’évanouir. Il fallut s’en retourner. Que faire ? Le Père Noël était bien ennuyé. Pas de vétérinaire ! Une seule solution, faire appel au Bon Dieu, lui qui sait tout. Il arriva immédiatement !
"Ah, mon cher Père Noël, j’avais donné aux hommes une terre pure et belle où tout était en osmose. Dans les rivières coulait une eau des plus claires, la mer brillait d’un bleu éternel, l’air était sur tout comme une caresse et aujourd’hui, ces hommes, vois ce qu’ils en ont fait de leur terre ! Ah mon ami, l’air ? Peut-on encore l’appeler ainsi ? Un mélange de fumées empoisonnées crachées nuit et jour par des cheminées dix fois plus grosses que celles de l’enfer, des gaz qui s’échappent bruyamment des moteurs de leurs véhicules ! Ce n’est pas étonnant que tes rennes s’étouffent. Toi, tes poumons sont habitués au manque d’air et à la suie des cheminées, tu peux tenir le coup. Il faut tout de même que tu fasses ta tournée. écoute, je vais te procurer ce dont tu as besoin pour les rennes."
Le peintre d’Opoul dans les Corbières, Michel Pagnoux, a réalisé la Une de Noël de L’Indépendant.
Dieu sortit alors de ses mains un masque à gaz avec une longue lanière et le mit au premier renne. Ah ! Il était beau le renne avec cette espèce de boîte de conserve au bout du nez, une boîte au fond percé comme la poêle à châtaignes, les rennes qui ont déjà le nez suffisamment long… Et ce n’était pas tout. Dieu ajouta à l’équipement du renne des lunettes faites d’un seul bloc comme celles des nageurs qui vont sous l’eau.
Pensez si les autres rennes riaient. L’un d’eux demanda un casque de motard, ce n’était pas Noël, c’était le Carnaval.
"Équipés ainsi, vous pouvez aller livrer les jouets.
Mais comment ferons-nous si nous voulons boire, demanda l’un d’eux, car la tournée est longue.
Non, non et non, sur la terre il ne reste que très peu d’eau potable. Surtout ne buvez pas. Une gorgée provoquerait pour toi des coliques à t’en tordre les boyaux, pour toi une fièvre terrible, pour toi des démangeaisons qui te feraient gratter jusqu’au sang, pour toi une infection de la vessie, pour toi une cirrhose… Il ne faut pas que vous buviez."
Oh ! Toute la nuit ils firent preuve d’un courage exemplaire. Et tant qu’ils le pourront ils tireront le traîneau du Père Noël, alors habitants de la terre pensez à eux. Que leur faut-il ? De l’air et de l’eau.
Pichon conte de Nadal d’Arièja en francés e en occitan
Rovaniemi, Laponie finlandaise / Photo Sud Ouest, Jonathan Nackstrand - AFP
L’an passat, Nadal apassomit sul carràs, aprochava de la nòstra tèrra quand les rèns se botèguen a tossegar, a s’estofar e podián pas mès avançar. Nadal se despertèc : "Anem, qué vos arriba ? Demorem que les-i passa".
Mès les rèns aturavan pas de tossegar e d’estornidar. Ara avián les uèlhs que ploravan, le nas que pishava coma la font de l’Auca e s’escanavan. A grandas penas se revirèguen e fugiguen coma posquèguen cap a las estelas. Quand fèguen pro luènh de la tèrra tornèguen alendar coma cal.
"A, som plan content. Me demandi çò que vos a arrapat, diguèc Nadal, que nos cal descargar aquel viatge abans doman maitin."
Les rèns tornèguen prene le camin e un còp de mès quand fèguen pròchis de la nòstra tèrra una tos encara pus tarribla les arrapèc. La gargamèla les prusiá, e tossissián, tossissián coma perduts […] s’anavan estavanir. Calguèc tornar a l’endarrèr. E ara que fèr ? Le Paire Nadal èra plan embestiat. Cap de veterinari ! Una solucion, apelar le Bon Dieu, el qu’ac sap tot. Arribèc sul còp !
"A paure Nadal, aviá bailat als òmes una tèrra neta e polida que jamès pus ont tot s’apariava. Dins las ribièras corriá una aiga de las pus claras, la mar lusiá d’un blau eternal, l’aire calinejava tot e ara aquelis òmes que n’an fèit de la lora tèrra ! A paure amic, l’aire ? Se pòt encara apelar aire : un barrejadís de fums emposonats escupits nuèit e jorn per unas chumenèias dètz còps pus gròssas que las de l’infèrn, de gases que s’escapan en petant dels motors de lors carrasses de ròdas ? Es pas estonant que les tieus rèns s’estofen. Tu, as les palmons fèits al pauc d’aire e a la suèja de las chumenèias, tenes encara le còp. E çaquelà te cal fèr la tornada, escota, pel rèns te vau bailar çò que cal."
/ Photo DDM, Olivier Morin - AFP
Dieu sortic de las mans una masqueta pel gas amb d’una granda correja e la botèc al prumièr rèn. A ! èra polit ara le rèn amb d’aquela boèta de consèrva al cap del nas, una boèta al fonze traucat coma la padena de las castanhas, les rèns qu’an dejà le nas pro long. Èra pas acabat. Dieu ajustèc al nòstre rèn unas lunetas totas d’una pèça coma las dels nadaires que van jos l’aiga.
Ja risián les autris rèns. Un demandèc un casc de motociclista, èra pas Nadal, èra Carnaval.
"Equipats atal, podètz anar portar les joguets.
Mès cossí anam fèr se volèm beure un còp, diguèc l’un, que la virada es longa.
A que non, sus la tèrra demòra plan pauc d’aiga de bona. Sustot begatz pas. Una gorjada te bailariá a tu unas colicas a te torcir les budèls sèt còps dins le ventre, a tu una fèbre a te fèr cambiar quatre còps la camisa de susor, a tu una poirilada a te gratar le pel juscas als òsses, a tu una ufladura de la botariga, a tu la ciròsi del fetge… Sustot passatz-vos de beure."
Ò ! Tota la nuèit les rèns ja n’agèguen coratge. Tant que poiràn tiraràn le carràs, alavetz gents de la tèrra pensatz a elis. Que les-i cal ? Aire e aiga.
L'auteur : Jean-Baptiste Fournié, amoureux de sa langue
Rovaniemi, Laponie finlandaise / Photo Sud Ouest, Jonathan Nackstrand - AFP
Jean-Baptiste Fournié est né en 1938 à Amplaing, dans une famille paysanne. Devenu instituteur, il est nommé en Normandie où il s’installe et vit encore. Mais l’Ariège lui manque et jusqu’à très récemment, il reviendra chaque année y passer du temps.
Sous son inséparable béret, se cachent vivacité et humour et la canne qui, par le poids des ans, soutient maintenant sa main suit les grands gestes qui –attention ! – accompagnent ses discours qui n’ont, eux, rien perdu de leur vigueur.
Amoureux de son pays et de sa langue, il est l’auteur de nombreux ouvrages en occitan. Plusieurs recueils de contes et récits (En parant l’aurelha, Le nas suls andèrs, La lenga dins le tintièr) publiés par l’Institut d’Estudis Occitans d’Arièja dans les années 1990 et 2000 où se mêlent tradition, souvenirs et création littéraire portés par une langue de qualité, authentique et féconde d’un locuteur natif. Les Editions des régionalismes ont quant à elles fait paraître ses œuvres théâtrales ainsi qu’un ouvrage intitulé Mots esparricats qui, sur le ton de l’humour, nous conduit à la découverte de la saveur et la richesse de la langue d’oc.
Il a également publié dans des revues et le Journal de l’Ariège.
Rovaniemi, Laponie finlandaise / Photo Sud Ouest, Jonathan Nackstrand - AFP
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