"France Gall a rejoint le paradis blanc"
Publié le 08/01/2018 à 09:34 | La Dépêche du Midi | Dominique Delpiroux
France Gall, une enfant gâtée marquée par la tragédie
France Gall en 1968 pose dans une tenue de marin./ Photo DDM, AFP
La vie de France Gall commence comme une comédie musicale, pétillante, joyeuse, colorée, où une petite gamine de 16 ans fait chavirer la France des yéyés. Elle se termine comme une tragédie antique, où elle voit défiler la mort et la maladie, l'injustice et l'amertume : contre cette infortune, France Gall a su prendre avec la lumière une distance pleine d'humilité et de dignité, aux antipodes de la chipie capricieuse des sixties.
France Gall est un personnage hors normes, cabochard et généreux, naïf mais lucide, fragile et infiniment courageuse. Et d'abord, avant tout ce qu'il faut savoir de France Gall, c'est qu'elle est une musicienne, et que les poupées de son berceau n'étaient que des poupées de sons. Les sons des musiques de son papa, de l'orgue de son tonton, le son de la guitare d'Hugues Aufray, la belle voix rebondissante et chaude de Nougaro, les yoles cristallines de Marie Laforêt, la bande de copains de ses parents.
L'icône des années yéyé reste une idole de la variété française. / Photo DDM
Sa voix qui claironne
Pas étonnant que cette poupée ait rêvé très tôt que de cire, la cire des 45 tours des vedettes de son temps. Isabelle (c'est son vrai prénom), Babou pour les intimes, a tâté du piano à 5 ans, de la guitare à 11 ans, et sait faire éclater son joli petit brin de voix. A 15 ou 16 ans, son papa, qui a gratté des chansons pour Édith Piaf ou Charles Aznavour la pousse sur scène, et lui fait enregistrer ses premiers disques. Comme pour presque tous les yéyés, son premier tube est une adaptation d'un standard américain : «Ne sois pas si bête». Le disque est diffusé à la radio le jour de ses 16 ans. Et ça marche !
La gamine est immédiatement propulsée dans le «hit». Sa bouille ronde, ses yeux étonnés, sa chevelure blonde et cette voix qui claironne joyeusement font mouche auprès d'un public qui veut s'amuser. Les tubes s'enchaînent : toute l'Europe trépigne en dansant Sacré Charlemagne.
Deux bonnes fées vont le pencher sur cette jeune pousse encore un peu verte. Tout d'abord le musicien Alain Goraguer. Il a bossé avec Boris Vian et Henri Salvador. C'est un jazzman qui détecte tout ce que la future interprète d'Ella a de swing dans la peau. Il fait rebondir les arrangements et France fait du trampoline sur ses notes.
/ RelaxNews - FRANCOIS GUILLOT - AFP
La deuxième fée est aussi un petit diable : Serge Gainsbourg va lui composer des tubes, qui vont assurer la notoriété des deux. Mais avec ce garçon, qu'elle décrit comme «timide, élégant, avec une belle éducation», les choses sont parfois compliquées. Ainsi, si France Gall gagne le prix de l'Eurovision avec Poupée de cire, poupée de son, Gainsbourg a bien failli faire capoter le concours en se prenant le bec avec les producteurs italiens.
Et quand France Gall doit interpréter sa chanson devant le jury, elle est bouleversée, car elle vient d'apprendre que son petit copain la quitte. Le coup de fil vient de Claude François, avec qui elle est en couple depuis 3 ans. Et qui a bien du mal à admettre que sa chérie cartonne plus que lui au box-office… Ce jour de 1965, France Gall déjà avait la tête dans les étoiles et le cœur dans une moulinette. Cette séparation va inspirer à Cloclo sans doute sa meilleure chanson : Comme d'habitude, qui deviendra le tube mondial My Way.
La deuxième mauvaise blague de Gainsbourg est bien connue : il fait chanter à France Gall Les Sucettes. Texte à double sens que la jeune fille gobe san le comprendre. Elle en sera «profondément humiliée», racontera-t-elle plus tard…
La chanteuse ne s'est plus présentée au public depuis 1996 / Photo DDM
Histoire d'amour et de musique
Et puis le temps du twist et des yéyés s'étiole. Sous les pavés de 68, on n'entend à peine Johnny, François Hardy, ou France Gall. La recette magique des trois G, Gainsbourg-Goraguer-Gall, galère. Seul émerge des ondes radiophoniques l'aileron de son Bébé requin en 1967. En 1970, France Gall tombe amoureuse d'un garçon qui lui est une étoile montante : Julien Clerc. Mais tandis que lui mène sa carrière au rythme de la cavalerie, sa carrière a elle aurait de quoi faire pleurer le Bon Dieu. Même avec des chansons signées du parolier de Julien, Étienne Roda-Gil, même avec des musiques signées du sorcier musicien Giorgio Moroder.
Et puis, un jour, il y a cette voix entendue à la radio. Nous sommes en 1974. Celui qui chante, c'est Michel Berger. Il n'a pas eu jusque-là un succès foudroyant. Il vient de vivre une histoire d'amour tumultueuse et brutale avec Véronique Sanson, son double féminin musical… Alors quand l'interprète de Sacré Charlemagne la sollicite, il fait la fine bouche…
Mais on connaît la suite : une histoire d'amour et de musique, un dialogue passionnel, une fusion artistique totale qui durera près de 20 ans, avec des petits bijoux, depuis Ma déclaration, jusqu'à Babacar en passant par Résiste, La Groupie du pianiste ou Cézanne peint. La yéyé écervelée des années soixante interprète avec brio et intelligence, des textes sensibles et profonds. France Gall n'est plus France Gall. Son Berger la conduit vers les étoiles…
/ RelaxNews - Bertrand GUAY - AFP
Tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur de monde. Mais le destin est cruel. La maladie est en embuscade. Pauline, leur fille naît en 1978. Elle a la mucoviscidose. Ils n'en parlent pas. Vivent et chantent avec ce terrible secret. La mort, elle aussi rôde. Elle frappe leur ami Balavoine en 1986. Puis, c'est au tour de Michel Berger, d'être victime d'une crise cardiaque en 1992. Et la malheureuse Pauline rend son dernier souffle en 1997…
Non, France Gall n'est pas morte. Mais elle tourne la page. S'enfuit au Sénégal, où elle se dévoue pour des associations humanitaires, comme elle avait l'habitude de le faire, avec Renaud, Goldmann et les autres. Elle met de l'ordre dans les créations de Michel Berger et dans les siennes. Elle prépare Résiste, une comédie musicale, jouée en 2015… Elle sait depuis 20 ans qu'une sale bête a poussé dans son sein. Elle se bat, longtemps. Jusqu'à hier. Où elle a refermé la dernière page sans regrets ni remords. «Qu'il reste quelque chose de moi m'indiffère» disait-elle. On aurait tant aimé qu'elle résiste encore, Babou…
/ Photo AFP
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