Au bistrot, "Brèves de comptoir" avec Jean-Marie Gourio

2/2/2014

Dauphiné Libéré | Francis BROCHET | Publié le 02/02/2014 à 06:00
 
« Le chômage a mis du silence au comptoir »

Rencontre avec Jean-Marie Gourio, l'auteur des fameuses "brèves" qui vit à Talloires en Haute-Savoie

Paris, Au Pied de Cochon, 1957 / Photo Peter Miller

« Nous sommes tous des mélancoliques », aime à dire Jean-Marie Gourio. Mais il pratique au comptoir la mélancolie sans pathos, au long d’une conversation de “Brèves” que nous lui avons servies comme questions.

« Relever la TVA sur les bistrots, c’est dégueulasse, ça va toucher qui ? Les plus pauvres qui travaillent pas ».

C’est ahurissant, cette TVA… Quand ils l’ont baissée, ils l’ont baissée pour tous, pour le Fouquet’s et le bistrot de village qui tient avec quatre verres de rouge dans l’après-midi. Moi, je ferais rien payer aux petits bistrots de campagne.

« Entre être au FMI et au RMI, y’a pas qu’une lettre qui change ».

 

L'arrivée du coca-cola au coeur du vieux Paris / Life

Je n’oppose pas l’élite au peuple, c’est l’élite qui s’oppose à tout le monde. C’est LVMH qui coupe la France en deux, pas le petit mec au bistrot. Lui, tout ce qu’il veut, c’est avoir du travail, une maison, une voiture qui roule. Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui, c’est les riches qui veulent la révolution, pas les pauvres. Eux, ils y croient plus… Ils vont pas faire sauter la Bourse, ils s’en fichent, l’argent aussi : les pauvres savent que, jamais, ils prendront l’argent des riches. En revanche, ils regardent le prix des choses… C’est très abstrait, l’argent : le CAC 40, ça marche comment ? Et l’argent du Crédit lyonnais, on sait même pas s’il existe…

« Le vrai racisme, il est pas au comptoir »

 
Un Bistrot aux Halles, 1927 / Photo André Kertész

« Ils veulent que je cherche du boulot, à Pôle Emploi, mais ça, c’est leur boulot à eux ».

Mais c’est vrai ! Il arrive à Pôle Emploi, il fait la queue des heures pour qu’une dame au guichet lui annonce : y’a rien… Alors il va rester au comptoir, prendre un verre et dire : j’irai à Pôle Emploi quand il y aura des emplois !…. C’est incroyable comme le travail occupait les conversations. Nous en France, on est un peuple de travailleurs : on parlait de la camionnette à garer, du patron, de l’heure qui tourne, de la paie… Le chômage a fait disparaître ce parler-boulot. Et il a pas fait naître un parler-chômage, il a mis du silence au comptoir.

 
Édith Piaf chantant dans un café, vers 1936, accompagnée de son accordéoniste Buel, de Raymond Asso, et de Marcel Montanon / Photo Jean-Gabriel Seruzier

« La viande hallal, c’est religieux, mais si tu fais bien cuire, ça s’en va ».

C’est pas raciste, c’est la bizarrerie de la religion… Sinon, oui, il y a des phrases racistes dans le livre, des phrases que j’ai ramassées. Mais dans les bistrots, il ne peut pas y avoir du racisme, car il y a du mouvement, des gens qui se croisent. On se frôle, on se bouscule, on boit dans le même verre à quelques minutes d’intervalle, comme on se passerait le calice de la communion… Le vrai racisme, il naît dans les maisons des gens qui ne sortent pas, qui ont peur. Le vrai racisme, il est pas au comptoir, c’est le racisme des volets fermés.

 
Bistrot "Chez Jeannot" à Villeurbanne / Photo Xavier Bouchart

« Je suis pas sexe, moi, c’est la bouffe. Tu me présentes une femme, je la bouffe ».

Contrairement à une idée reçue, on parle très peu de sexe, dans les bistrots de quartier. Y a une gêne… Ce sont les quinquas qui ont du fric, ceux qui prennent le Thalys, qui parlent de cul en mangeant. Prends le Professeur Choron : il en parlait jamais.
« Les bistrots, ça peut pas être macho »

« La parité hommes femmes, après ça va être les chiens les chats, les pommes, les poires… ».

Les bistrots, ça peut pas être macho, c’est tenu par des femmes : la mère assise sur une chaise, sous la pendule qui fait tic-tac, la patronne derrière le comptoir, et sa fille qui est dans la salle. Le type qui parle de la parité, il fait le mariolle, mais la patronne lui dit : toi, tu vas prendre un coup de torchon… Dans les bistrots, il peut y avoir de la connerie, mais pas de méchanceté.

 
A Stains à la fin des années 40 / Photo Robert Delhay

« La France, c’est pas un pays, c’est la France, un pays, c’est toujours à l’étranger ».

Ils aiment la France, dans les bistrots… La France, c’est pas un drapeau, c’est les confitures que faisaient grand-mère, c‘est des vaches et des prés, c’est rural. C’est pour ça que Chirac a été aimé, avec les pommes et la tête de veau, et pas Sarkozy. Et c’est pour ça que l’Europe pose problème, parce qu’on a agrandi un territoire, sans attendre qu’il y ait le sentiment correspondant au territoire. Comme dirait Arletty, l’Europe, c’est très grand pour un petit cœur ! On a agrandi un espace de boulot et un espace financier, alors qu’on n’a pas de boulot et pas d’argent, c’est absurde !

 
Autour du poêle, en 1927 / Photo André Kertész

« Il est tout le temps gai, le marchand de journaux, il doit pas lire ce qu’il vend ».

Le marchand, il lit pas la presse. Sauf, des fois… Tiens, j’ai connu un marchand de journaux à Pigalle, il avait reçu “La France rustique”, avec un grand poster donnant tous les bons coins à champignons : avec ses potes, il avait arraché tous les posters, pour pas que les gens connaissent les bons coins !

 

« Les livres, moi je préfère attendre qu’ils fassent un film de cinéma et que ça passe à la télé ».

C’est sûr qu’on se bouscule pas pour acheter les bouquins… Mais peut-être que les gars du bistrot feront un effort pour les “Brèves”. Ils iront les voir au cinéma, pas pour aller au cinéma, mais comme s’ils allaient au bistrot. Chez eux.

 

 “Je n’oppose pas l’élite au peuple, c’est l’élite qui s’oppose à tout le monde” affirme Jean-Marie Gourio. / Photo DL

BIO express : Né en 1956 à Nérac (Lot-et-Garonne), puis en 1976 à Hara-Kiri (Paris). En 1984, participe à “Merci Bernard” avec Topor, Gébé, et déjà Jean-Michel Ribes, puis à partir de 1989 aux “Nuls”.En 1985, premières “Brèves de comptoir” dans Hara-Kiri.A publié de nombreux romans, dont le dernier est “Sex-Toy” (Julliard), et écrit deux opéras.Il vit depuis plusieurs années maintenant à Talloires, sur les rives du lac d’Annecy, en Haute-Savoie. Il y organise une importante fête du livre.Vient de publier “Le Grand café des Brèves de comptoir” (Robert Laffont, 9000 brèves, 23 euros).“Les Brèves” deviennent un film en avril, avec Jean-Michel Ribes à la réalisation, et Didier Bénureau, Yolande Moreau, Régis Laspalès, Bruno Solo… au comptoir.
 

Au Pied de Cochon, près des Halles, 1957 / Photo Miller

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