Mégisserie graulhétoise : l'entreprise Joqueviel-Cathala à l'honneur

11/1/2012

11 janvier 2012 01h11 / touleco-tarn.fr

La mégisserie Joq & Cat à fleur de peau

Aujourd’hui le dernier des Mohicans de l’industrie tarnaise du cuir pourrait bien être l’entreprise de mégisserie Joqueviel et Cathala. Avec 49 personnels, les frères Francis et Serge Cathala, fils et petit-fils des fondateurs de l’entreprise, actuels patrons-ouvriers mettent les mains à la peau pour générer un chiffre d’affaires de 11 millions d’euros. L’histoire de la mégisserie Joq & Cat commence en 1953, quand Henri Cathala (âgé de 30 ans) et son beau-père Gaston Joqueviel, tous deux courtiers en cuir et peaux à Graulhet, décident de racheter une mégisserie dans le quartier de Saint-Jean.

A 87 ans « et demi », avec une énergie intellectuelle remarquable, Henri Cathala se souvient : « On s’est marié très jeune, à 22 ans. Mon beau-père était représentant peaussier à l’achat dans le Tarn, pour vendre les peaux à des fabricants français, allemands et américains. Puis nous avons acheté la vieille usine, sur les berges du Dadou, où, durant 19 ans, nous avons connu le bagne des galetas sur cinq étages. On y montait les peaux par douzaine, quarante par jour, sur le dos, pour les faire sécher. Le séchage durait quinze jours, au bon gré du temps et du taux d’humidité. Il fallait savoir attendre que le vent tourne. Pour sortir les peaux du bain, on montait dessus et on tirait avec des pinces à manches longs. C’était très physique ». De cette rude besogne il subit maintenant, les stigmates d’usure à toutes ses articulations.

A l’époque « des choux gras », il a connu l’euphorie des années 70. « A ce moment là, les banques nous ont poussé à investir…trop pour la plupart ! Quand la Zone Industrielle de Rieutord s’est construite, on y est venu s’installer. Mais comme c’est un métier à main d’oeuvre, une industrie artisanale de galérien, la mondialisation en a eu raison. Maintenant il faut un stock énorme pour tourner. Ce qui n’est pas normal pour une industrie pénalisées par les fluctuations. Dans le temps, on avait les fournisseurs et les clients sur place, donc on travaillait sur de petites quantités. Jusqu’aux découpeurs qui reprenaient les peaux de mauvaise qualité », conclut-il.

4000 peaux par jour

Curieusement, cette pénibilité de l’activité ne décourage pas ses deux fils. Au contraire, dès l’âge de 12 ans, "Les p’tits Cathala" passent leurs vacances scolaires à l’usine à mesurer au pied carré les peaux traitées par la petite équipe familiale de neuf personnes. Un BTS, chacun, plus tard, obtenu à l’école de tannerie-mégisserie de Lyon et les voilà qui reprennent l’entreprise à un an d’intervalle, en 1980. Forts d’un savoir-faire d’exception, ils traitent aujourd’hui 4000 peaux d’ovins ou caprins, par jour, dont 70% partent à l’export en Chine (le plus gros du marché) pour la confection.

Tannage (pour les rendre imputrescibles), teinture, finitions, la mégisserie Joq & Cat se démarquent par un éventail de process variés à destination du marché américain pour des créateurs de vêtements qui assurent le design et font confectionner en Asie. Un atout qui lui permet de toujours exister et même de progresser. « Si nous ne nous étions pas remis en question sur les produits à la mode qui font les besoins du marché, nous serionsliquidé. Nous essayons donc de répondre plus à des services avec livraisons adaptées en temps et en heure. Le juste à temps et à la demande nous oblige à être sur le qui-vive. Notre seconde force c’est donc de travailler avec un très gros stock de matière première d’un an d’avance ! », argumente Francis Cathala, qui n’a jamais autant pris la mesure d’un des conseils de son père : « Avant il fallait avoir de l’argent ou être technicien ou être travailleur, aujourd’hui il vous faut avoir les trois ! ».

Tanneur-trader

Quand il va au Bangladesh, s’il ne ramene pas la peau du Tigre du Bengale, il achete un lot de peaux de chèvres et de vachettes dans ce pays du sous-continent indien. Comme de temps à autre pour la Nouvelle Zélande (un des plus gros producteur mondial avec 22 millions de têtes par an) où il achète des agneaux par centaines de milliers. Il y part avec un courtier pour négocier sur les dernières offres du marché. Car la fluctuation des prix est le bât qui blesse cette industrie à chaque vague de tension. « Les fluctuations de cette matière première sont imparables. La douzaine peut passer de 20 à 120 dollars pour la même qualité à l’export. Un record historique, cette année. Autre exemple : il y a deux ans, la peau française était vendue 3,8 euros, aujourd’hui on la touche à 18 euros ! », constate le tanneur-trader, co-président de la chambre syndicale des patrons mégissiers de Graulhet.

Ils sont désormais plus que treize à se considérer comme les parents pauvres de l’industrie dans un secteur mécanisé, certes, mais essentiellement manufacturé. Une peau passe en moyenne 25 fois dans les mains de ceux qui la traitent via tous les process de A à Z. Du corroyage au séchage dans les étuves désormais équipées de systèmes électriques qui réduisent le temps à une seule nuit. Même si les impressionnant foulons de 4m50 de diamètre (des tonneaux géants faisant office de tambour de machine à laver) brassent chacun de mille à 3000 peaux. Et que l’évolution des produits chimiques optimise le traitement.

Une activité d’autant plus difficile à pérenniser et/où à transmettre aujourd’hui. Sa fille Chloé, 27 ans, vient de rentrer dans les bureaux. Alors, Francis Cathala cherche à structurer son entreprise. pour essayer de valoriser un mode de fonctionnement moderne, qui permette à un successeur potentiel de reprendre la holding CHS et ses deux sociétés exploitantes Joq & Cat et Ariès.

Anne-Marie Bourguignon

Une industrie florissante réduite comme peau de chagrin

Si le tannage est une affaire graulhetoise depuis le XVIème siècle, c’est à la fin du XIXème siècle, que Graulhet devint Capitale mondiale de la mégisserie pour la production de maroquins, utilisés pour la doublure des chaussures, des peaux pour la maroquinerie, la gainerie et la reliure. Un élan économique industriel boosté à partir de 1851 quand Mazamet, sa voisine, s’est mis à importer d’Argentine, des peaux de moutons à délainer pour sa filière textile. Considérée comme un sous-produit, la peau dépoilée était alors récupérée par le bassin de Graulhet. En 1896 on y comptait plus de cent ateliers, dans lesquels travaillaient 1500 hommes, 300 femmes. Près d’un siècle plus tard, en 1991, il y avait 87 mégisseries en activité. En 2011, il n’en reste plus que douze et 250 salariés.

167 friches industrielles témoignent, encore aujourd’hui, de cet âge d’or, au coeur de la cité, arrosée par le Dadou dont les eaux alimentaient, alors, ces petites fabriques florissantes.

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