Blouses grises

12/10/2020

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Publié le 11/10/2020 à 07:38  | La Dépêche du Midi |  Chronique regard : J.C. Souléry

Blouses grises



Elle était grise, bêtement grise, la blouse qu’on me fit porter. Grise comme la plupart des blouses d’écoliers. Certains, assez rares, avaient la chance de porter une blouse bleue. Il y avait même un grand en blouse noire qui se boutonnait sur le côté, et c’était bien sûr le plus élégant. Je ne me souviens plus vraiment de ces années de petite école, à part les quelques taches d’encre sur ma blouse grise, ça faisait triste et cancre.

Nous allions ainsi, vêtus de gris, du matin jusqu’au soir. Le soir, avant de rentrer, nous accrochions ces blouses à des portemanteaux. Les filles, généralement en blouses roses, les gardaient en permanence même au sortir de l’école, sans doute y trouvaient-elles un avantage, une sorte de coquetterie, ou encore un signe extérieur de sériosité.



Je ne sais pas si c’était une "tenue républicaine", c’était davantage une habitude dans les petites classes de revêtir cet étrange uniforme – pour ne pas se salir, disait-on.

N’allez pas croire cependant que ça effaçait, fut-ce même en apparence, les inégalités sociales. Nous nous ressemblions sans doute, mais les blouses grises des plus riches n’étaient jamais froissées, leur gris était "différent", plus joli, moins gris. Avec une poche d’où pointaient nos crayons bleus, nous ressemblions surtout à l’épicier du coin.



La maîtresse, coiffée en chignon, nous apprenait à lire, écrire et compter, elle-même en blouse bleue pâle, presque une blouse d’infirmière. Elle soignait surtout notre indiscipline de gamin, et en quelques semaines nous avions compris qu’on ne bavardait pas à l’école. Je ne sais pas si c’est "l’effet blouse" qui nous rendait à ce point obéissants. Peut-être.



Des années plus tard, nous étions la "génération Mai-68", les blouses avaient plus ou moins disparu du paysage scolaire, nous vivions alors en jeans. Et tout allait changer.

Il n’y a plus de blouse dans les écoles. Ou très peu. ça ne correspond plus à l’air du temps. Imposer aujourd’hui qu’on en porte serait une grave atteinte aux libertés individuelles des petits collégiens qui depuis longtemps s’habillent comme le veulent les propagandes de la mode.


/ DDM, Istock

J’y songeai donc l’autre jour en entendant le ministre de l’Education exprimer ses réticences devant certaines tenues qu’il jugeait incorrectes dans l’enceinte d’un lycée. Les tenues visées, c’était essentiellement les horribles jeans troués, le short et surtout le crop top, ce haut plus ou moins moulant et suffisamment court pour laisser apparaître le nombril.


/ DDM, Flickr

Les adolescentes, dit-on, en raffolent, et les propos du ministre ont aussitôt valu une inutile polémique.

Constatons seulement que cette sortie anti-crop top s’adresse prioritairement aux filles – réflexe d’un homme mûr peut-être paniqué par l’érotisation de la jeunesse, ou plus généralement par la liberté des femmes ? 
En tout cas, on dira au ministre de l’Education que, si un vêtement n’a jamais fait de bons élèves, la blouse grise pour tous est depuis longtemps un rêve de Moyen Âge.


/ DDM illustration, H. Morel
 

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