Christophe retrouve les Paradis perdus

18/4/2020


Publié le 17/04/2020 à 20:09   | La Dépêche du Midi |   Sébastien Marti

Disparition : Christophe retrouve les Paradis perdus


Christophe avait 74 ans. / Photo AFP - JOEL SAGET

 
Il était "Le dernier des Bevilacqua", son nom de famille et le titre de la chanson qu’il avait composée avec Jean-Michel Jarre. "Il ne restera bientôt que moi, que le dernier des Bevilacqua", anticipait ainsi Christophe en 1974.

Le chanteur est mort jeudi à 74 ans des suites d’une maladie pulmonaire, à Brest où il était en réanimation. Intubé sous sédation profonde, il était hospitalisé depuis le 26 mars pour insuffisance respiratoire. Il est décédé d’un emphysème. Des rumeurs couraient sur une possible infection au Covid-19, mais elles n’ont pas été confirmées par ses proches.
"Christophe est parti. Malgré le dévouement sans faille des équipes soignantes, ses forces l’ont abandonné. Aujourd’hui, les mots se lézardent… et tous les longs discours sont bel et bien futiles", ont écrit son épouse Véronique et sa fille Lucie, paraphrasant "Les Mots Bleus".


Le monde de la culture pleure Christophe / Photo AFP - JOEL SAGET

 
"Aline", le succès fou
"Dandy un peu maudit, un peu vieilli", comme il s’imaginait dans "Les Paradis perdus" - l’une des plus belles chansons françaises de tous les temps - cet enfant d’immigrés italiens a traversé les époques, ressuscité à plusieurs reprises.
Influencé par le rock américain et la poésie de Brassens, il fonde d’abord le groupe Danny Baby et les Hooligans avant de connaître le succès sous son nom de scène, Christophe, clin d’œil à la médaille de Saint-Christophe que lui avait donné sa mère.

En 1965, il écrit "Aline" (plus d’un million de disques vendus à travers le monde) et transporte toute une génération "sur cette plage". Combien de couples, à une époque où les salles de bal étaient encore placées sous la surveillance étroite des parents, ont connu leur première étreinte avec ce slow vespéral ? Quand Johnny Hallyday et Eddy Mitchell incarnaient les mauvais garçons traînant leurs semelles crêpe sur l’asphalte, Christophe l’écorché vif traçait un sillon déviant, semé de romantisme et de mélancolie.

Mais qui était cette Aline dont le doux visage lui souriait ? Une certaine Aline Natanovitch, selon les déclarations du chanteur en 2016, "une Polonaise pas dégueu, qui s’occupait à l’époque du vestiaire de l’Orphéon club et qui la journée était assistante dentaire boulevard du Montparnasse".
Avec "Les Marionnettes", autre tube que Christophe appelle "Les Mario", le crooner au falsetto rouillé marque définitivement les années yéyé. Il figure d’ailleurs sur la fameuse "Photo du siècle" de Jean-Marie Perrier prise en 1966.

 

 
Jarre le métamorphose
Oiseau bleu nuit au plumage de strass, artiste à la sensibilité exacerbée - il serait le reflet virilisé de Barbara - il connaît une brève éclipse jusqu’au milieu des années soixante-dix. Le jeune compositeur Jean-Michel Jarre le métamorphose : ensemble ils écrivent "Les Paradis perdus" et "Les Mots bleus", deux monuments lyriques et sophistiqués influencés par l’écriture rock de David Bowie, Lou Reed ou John Cale.

Christophe achève alors l’évolution de son personnage : il se laisse pousser la moustache - toute ressemblance avec un catcheur américain est purement fortuite - et cultive le look dandy fatigué qui ne le quittera plus. Il vit la nuit, se couche à midi pour se réveiller à 19 heures, quand le soleil décline. Musicalement, cet autodidacte peaufine son style, toujours étrange, proche de la rupture : "Je n’ai aucune technique, je ne joue pas les mêmes notes que les autres. Ce qui fait que j’ai vraiment un style à moi", confiait-il l’année dernière à La Dépêche du Midi.

Sa voix, reconnaissable entre toutes, appartient à un funambule : fragile, hésitante, elle cherche l’équilibre au bord du vide. "C’était plus qu’un chanteur, c’était un couturier de la chanson, se souvient Jean-Michel Jarre. Quand on travaillait ensemble, on passait les nuits en studio, pendant 3-4 mois, à la recherche du son ultime".

 

 
"J’ai eu des beaux bas"
Celui qu’Alain Bashung avait surnommé "le gitan blond" traverse les années quatre-vingt comme une caravane dans un mirage artistique : des tubes paresseux ("Succès fou", "J’lai pas touchée") et des productions bancales. Que retenir de ce hit fugace, "Ne Raccroche pas", écrit en 1985 en hommage à Stéphanie de Monaco, sinon "ses bottes rouges pour l’emmener danser" ? Il lui faudra deux décennies et une restauration austère au piano solo (magnifique live à l’Olympia en 2002) pour en révéler la richesse. "Je connais mes hauts et mes bas, j’ai eu des beaux bas", reconnaissait humblement le chanteur.
Entre ses passions pour son voilier, la pétanque, les Harley, les voitures de course ou le cinéma, Christophe enregistre des albums avec la régularité d’un métronome : "Bevilacqua" en 1996, "Comme si la terre penchait" en 2001, "Aimer ce que nous sommes" (2008), "Paradis retrouvé", un album d’inédits enregistré en 2013, jusqu’aux "Vestiges du chaos", qui clôt sa discographie en 2016.

 


Collaboration avec le compositeur toulousain Augustin Charnet
L’année dernière, il a enregistré deux albums de reprises, "Christophe etc.", en duo avec Juliette Armanet, Arno, Julien Doré, Laetitia Casta, Philippe Katerine, Étienne Daho ou Eddy Mitchell. Il a notamment travaillé avec le jeune compositeur toulousain Augustin Charnet (ex-Kid Wise) pour réaliser les nouvelles versions de ses chansons, arrangées, réarrangées, dérangées…
"Il est un peu resté un gosse, un jeune ado qui n’aime rien tant qu’expérimenter, exercer sa curiosité. Et confronter ses idées à des gens de notre génération. Christophe est un énorme bosseur, ultra-minutieux. C’est la plus grande oreille musicale que je connaisse, capable de détecter une erreur que personne n’a entendue", racontait à La Dépêche Augustin Charnet que Christophe surnommait "Augmentin 500" : "J’ai besoin d’en avaler pour me sentir bien".
Dans la foulée de sa disparition, les hommages au chanteur se sont multipliés. Emmanuel Macron a ainsi salué un "artiste singulier qui nous a emportés dans ses fulgurances poétiques et sonores". La nuit a perdu son étoile.



/ Photo DDM, Michel Labonne

"Impressionné par le personnage"
Alain Navarro, directeur artistique du festival Pause Guitare à Albi, a programmé Christophe à deux reprises. Il en garde le souvenir d’un artiste complet, proche du public, à contre-courant de l’image qu’on en donnait. "J’avais décidé de programmer Christophe la première fois parce que j’avais été surpris d’écouter ce qu’il faisait depuis quelque temps. Il proposait quelque chose de très électro, en groupe, et j’ai revu les préjugés que je m’en étais faits. J’ai été impressionné par le personnage, par son côté perfectionniste et la proposition musicale qu’il nous a fait. C’était un concert étrange et somptueux".

Au-delà de l’artiste, c’est aussi l’homme qu’a appris à apprécier Alain Navarro. "On a passé beaucoup de temps ensemble, et c’est la première fois que je rencontrais quelqu’un avec autant de culture musicale. Et c’était aussi un homme attaché à son public. Après le concert, il a passé près de deux heures à signer des autographes et à prendre des photos. On le disait étrange, pas en contact avec le monde, mais c’était tout l’inverse. Quand on lui parlait, c’était quelqu’un avec une réelle capacité d’écoute, qui prenait le temps de la réponse". Quelques années plus tard, en 2014, Christophe a de nouveau été programmé à Pause Guitare. Cette fois seul sur scène. "Il nous a proposé plusieurs univers, passant de l’électro à quelque chose de plus intimiste, acoustique, avec guitare et piano".

Christophe aux Années Bonheur (2012)
 

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