Haut-Languedoc d'antan
(1ère partie)

Le Haut-Languedoc, qu'es aco ? 

Avant d'évoquer le Haut-Languedoc au début du XXème siècle, il convient d'expliciter ce que représente ce nom qui n'était pas usité à l'époque, et qui a été depuis popularisé par la création du Parc Naturel Régional du Haut-Languedoc en 1973.

A cette époque-là, on ne parlait côté Tarn que du "croissant" des terrains anciens (correspondant à sa partie montagneuse) et sur le versant héraultais on faisait référence aux Hauts-Cantons, partie élevée des massifs du Somail et de l'Espinouse...

Le Haut-Languedoc actuel comprend plusieurs secteurs, dont le plus élevé se situe dans les Monts de Lacaune, au Roc de Montalet (1260 m). Il est dépassé de peu en altitude par le Puech de Rascas et le Montgrand (1270 m), mais inaccessibles car hérissés d'émetteurs militaires. Le Montalet offre un vaste panorama sur le Lacaunais, et a été doté en 1882 d'un monument à la vierge pour repousser le diable qui rôdait dans ses parages...

Au sud-est, le massif du Caroux, surnommé la "montagne de lumière" est entrecoupé par les fameuses gorges d'Héric, classées réserve biologique dès 1933. Ce site longtemps demeuré très sauvage (le hameau d'Héric n'a vu une route arriver à lui qu'en 1931) est devenu depuis le paradis des randonneurs et des grimpeurs, les premières voies d'escalades datant de 1910...

La partie ouest du Haut-Languedoc est fermée par la masse imposante de la Montagne Noire, dominée par le Pic de Nore (1210 m) qui se trouve dans l'Aude. C'est dans ce massif que Pierre Paul Riquet est venu dès 1667 chercher l'eau qui lui permettrait d'alimenter son Canal du Midi, se jouant de la ligne de partage des eaux entre Méditerranée et Atlantique. Mais c'est Vauban qui réalisa en 1686 la percée des Cammazes afin de conduire l'eau directement dans le Bassin de Saint-Ferréol...

Le Sidobre (signifiant en grec "pluie céleste") constitue avec son plateau granitique unique en Europe un autre territoire exceptionnel du Haut-Languedoc. Image emblématique du secteur, la Peyro Clabado (rocher de 780 tonnes maintenu en équilibre sur un socle d'1 mètre carré seulement) a échappé aux carriers (et donc à sa destruction) en 1912 grâce au Touring Club de France qui la fit classer monument historique. Remarquer au passage l'absence de végétation autour d'elle il y a un siècle...

Le Haut-Languedoc est un pays essentiellement minéral, prolongement du Massif Central, dans lequel l'eau est toutefois bien présente. A Saint-Pons de Thomières le Jaur sort de terre au pied d'une falaise calcaire selon le principe des fontaines de type vauclusien : c'est la résurgence d'un vaste réseau karstique composé de galeries souterraines inondées...

Le Haut-Languedoc doit une partie de sa notoriété à sa géologie spécifique, mais aussi à des épisodes importants de l'histoire, et notamment le catharisme. Que ce soit à Hautpoul, au-dessus de Mazamet, ou ici à Minerve, les rivalités entre Simon de Monfort et les hérétiques se sont terminées par des bains de sang. Assiégés et privés d'eau, quelques 150 parfaits cathares se jetèrent dans le feu en 1210 plutôt que de renier leur foi...

C'est le 22 octobre 1973 que le Parc Naturel Régional du Haut-Languedoc a vu le jour. Il s'étend sur 260 500 hectares et comprend 80 000 habitants répartis dans 92 communes : 47 dans le Tarn et 45 dans l'Hérault. Traversé par la ligne de partage des eaux, il bénéficie d'une triple influence climatique (atlantique, méditerranéenne et continentale), qui se traduit par une riche diversité biologique et paysagère...

Le Haut-Languedoc vers 1900

 

1 - A l'ostal

Le début du XXème siècle marque pour les zones de montagne le début de la dépopulation que va accentuer la première guerre mondiale. Apreté du climat, pauvres rendements agricoles générant une insuffisance de ressources, rudesse des conditions de vie (en 1950, certains hameaux ne possèdent ni électricité ni eau courante), difficultés de communication constituent les principales raisons des départs...

Par ailleurs, la forte demande en plaine d'ouvriers et d'employés dans l'industrie et les grandes administrations incite de nombreux jeunes à quitter définitivement le haut pays... Résultat, entre 1880 et 1936 la population des cantons de montagne diminue de 40 % (et de 60 % entre 1880 et 1999). Exemple pour le canton de Lacaune : 10 557 habitants en 1880, 6 296 en 1936 et 3 941 en 1999...

La rudesse du climat de montagne a influé fortement sur l'habitat, qui a bénéficié des matériaux trouvés sur place : pierre (granit dans le Sidobre), ardoise (ou lauzes), bois. Fermes, hameaux et villages se sont tout d'abord installés à proximité de points d'eau : source, puits, ruisseau. Il a fallu ensuite se protéger du vent du nord, glacial en hiver, et exposer au mieux la façade au soleil...

Les ouvertures des maisons étaient réduites afin de limiter l'accès du froid ou de la chaleur selon les saisons. L'étable ou la bergerie occupaient le rez de chaussée ; ainsi la chaleur animale (mais aussi les odeurs inhérentes) accédait à la pièce à vivre située au-dessus, grâce à un parquet souvent disjoint, et à laquelle on accédait fréquemment par un escalier en pierre extérieur donnant sur un perron, "lou balet"...

Les murs exposés aux pluies dominantes étaient recouverts de grandes plaques d'ardoises, fixées par des clous spéciaux forgés à la main. Dans les villages, les rues étaient souvent le prolongement de l'habitation et on y retrouvait tas de fumier, bois pour la cheminée, échelles, équipements agricoles,... Parfois des portes cochères arrondies permettaient aux charrettes de pénétrer dans le sous-sol de la bâtisse...

Pailher Prat d'Alaric Fraïsse sur Agout

Certaines annexes de la ferme étaient couvertes de toitures réalisées avec des genêts entrelacés. On appelait ce type de construction des "pailhers", et il en reste très peu de nos jours. Ces "jasses" comprenaient en général une bergerie en sous-sol, surmontée d'une grange. Les murs pignons à redans étaient recouverts d'une lauze pour faciliter l'écoulement des eaux de pluie...

Dans les bâtisses du Sidobre, l'ardoise a disparu au profit de la tuile, et le granit se retrouve dans les différents éléments de la construction : murs, linteaux, encadrements, marches, piliers,... De petites constructions (soues, poulaillers, caves, débarras) jouxtent le domicile, des treilles parcourent les façades...

Les routes desservant la montagne, et donc les rues traversant les villages, sont uniquement des chemins de terre : boueuses en hiver, poussièreuses l'été, farcies de nids de poule ! Elles ont donc été difficilement praticables quand les premiers véhicules à moteur s'y sont aventurés. Il a fallu attendre 1926 en plaine et dans les secteurs fréquentés pour voir les premières routes départementales goudronnées ; alors en montagne...

La pièce principale dans laquelle se rassemblait toute la famille tenait lieu tout à la fois de cuisine, salle à manger, salon, chambre... C'était bien souvent la seule pièce chauffée de la maison, grâce à une cheminée qui constituait l'unique moyen de chauffage de l'époque, et servait également à l'éclairer...

Si la cheminée apportait une chaleur bénéfique, elle générait ses propres inconvénients. Les personnes qui s'y regroupaient "al cantou" avaient l'avant du corps grillé par la chaleur et le dos saisi par le froid. La fumée envahissait souvent la pièce, et pour la limiter on devait entrouvrir porte ou fenêtre ; par ailleurs, elle noircissait inlassablement objets et meubles se trouvant à proximité...

On laissait en permanence une "oulo" sur le feu, remplie d'eau pour pouvoir disposer en toutes circonstances d'un minimum d'eau chaude. Sur un petit trépied, une soupe ou un fricot mijotait lentement dans un "toupi" alors que quelques pommes de terre cuisaient à l'étouffée sous la cendre. Mais la braise servait également à griller (à l'aide parfois d'un tournebroche), ou à chauffer un "potager", ancêtre du four de cuisinière...

Chaque famille possédait à côté de l'habitation un petit jardin potager qui fournissait en légumes toute la maisonnée : choux, poireaux, haricots, navets,... Avec les pommes de terre, ils constituaient la base de l'alimentation (la même soupe était souvent servie du petit déjeuner au souper). En y ajoutant porc salé, oeufs, fromage maison et pain de seigle, le régime alimentaire quotidien n'était guère varié...

Dans cette pièce la moins glaciale de la maison en hiver, on trouvait un ou plusieurs lits à alcove, hauts et étroits. Des rideaux protégeaient du froid pendant la saison rigoureuse, et préservaient une relative intimité. Par contre aux beaux jours la chaleur et le manque d'air y étaient incommodants. Si la famille était trop nombreuse, les filles couchaient souvent au galetas et les garçons à la bergerie...

Les vêtements que les hommes portaient tous les jours pour aller travailler étaient taillés dans un tissu bon marché et grossier, le "courdelat". Pour les rendre imperméables, on les recouvrait d'un autre tissu en chanvre résistant aux buissons. Les femmes portaient, selon la saison, plusieurs jupes ou jupons superposés, les "coutillous", et enfilaient parfois par-dessus une veste courte, "lou casabec", la tête étant couverte par un foulard souvent noir...

 

Pour le travail des champs, les hommes se couvraient d'un "brizaou" ; c'était un chasuble en chanvre et coton que l'on enfilait par dessus les autres vêtements, protégeant à la fois du vent et des ronces. Les femmes les plus âgées revêtaient la "capette", recouvrant à la fois la tête et les épaules. C'était surtout un vêtement de deuil que les plus riches remplaçaient par un châle...

2 - A la borio e dins los camps

On a vu dans la rubrique "Tarnais en 1900" que la population agricole était très importante à cette époque, et c'était encore plus vrai dans les montagnes du Haut-Languedoc. En effet, tout le monde y vivait exclusivement de l'agriculture ou de l'élevage. Même ceux qui exerçaient un autre métier (commerçant, artisan, employé) possédaient quelques terres sur lesquelles ils "faisaient venir" bêtes, céréales et légumes pour leur consommation propre...

La montagne autour des villages offrait un paysage de bocage très structuré, qui traduisait la présence d'une agriculture active. Les prairies occupaient plus de 80 % de la surface cultivée, le reste étant destiné à la culture des céréales essentiellement destinées à la nourriture du bétail. Des murs de pierres sèches arrachées aux champs délimitaient les propriétés, tandis que des "béals" (petits canaux) les parcouraient pour les irriguer...

Passées les dernières habitations du village, le maillage des haies organisait l'espace. Les alignements délimitaient des parcelles de faible surface témoignant de la présence de petites exploitations. Sur le dôme des collines des terres plus étendues correspondaient à de plus grands domaines. A noter que les croupes ne sont pas encore couvertes de grandes plantations forestières comme de nos jours...

A la ferme, c'étaient en général les femmes qui s'occupaient de "mener" le jardin-potager et de soigner la basse-cour. Tout le monde possèdait un certain nombre de volailles, parquées dans un enclos ou laissées libres dans la cour et même parfois la rue ou la route. Mais poules ou pintades finissaient rarement dans l'assiette : le poulet était un plat de luxe et on le réservait essentiellement pour la vente au marché...

Le châtaignier avait beaucoup prospéré dans ces pays de montagne au XIXème siècle, et dans de nombreuses contrées ses fruits se retrouvaient à la base de l'alimentation, notamment sous forme de farine. Ceci lui avait valu le surnom "d'arbre à pain". Ces arbres se sont bien adaptés aux pentes impropres à d'autres cultures, et y ont bien vieilli, pouvant atteindre 300 ans...

Dans la majorité des hameaux du Haut-Langudoc, et notamment sur le versant héraultais, il reste des constructions utilisées pour le sèchage des châtaignes, les "sécadous". On y entreposait une couche de châtaignes sur un plancher à claire-voie et on allumait au-dessous un feu sans flamme que l'on entretenait pendant 15 ou 20 jours. Ainsi séché le fruit était décortiqué (souvent à la veillée) et prenait le nom de "châtaignon"...

L'élevage du cochon était très important pour la vie de la famille. Les porcs de 20 kg, achetés au début de l'automne et engraissés toute l'année étaient tués lors d'une grande fête de famille en janvier ou février. L'animal se nourrissait dans la nature avec des glands, des orties ou de la fougère. Dans une grande marmite noire (la "boulidouïre") on lui préparait un complément à base de son, de verdures ou de pommes de terre...

Pour tuer le cochon, ou faire "mazel" on utilisait les services du "tuaïre" (tueur) ou "sagnaïre" (saigneur). On profitait de l'occasion pour réunir la famille dispersée, les voisins et les amis, à charge de leur rendre plus tard la pareille. Il fallait des porcs très gras car la chair était plus savoureuse, le lard était utilisé pour la soupe, et la graisse remplaçait l'huile dans les cuisines. En général, on égorgeait le cochon sur un banc ou sur de la paille. Débarrassé des soies par arrachage et par le feu, on le rasait à l'aide d'un couteau après l'avoir ébouillanté avec une eau frémissante pour éviter de cuire la couenne.

Pendu à une échelle, on le vidait et découpait les différents quartiers de viande, pendant que le sang était récupéré dans une marmite. Les femmes se chargeaient de nettoyer les boyaux à l'eau froide du ruisseau ou de la fontaine. Même les enfants trouvaient à se rendre utile, apportant des bûches pour alimenter le feu des différentes cuissons ou aidant aux diverses préparations. Tout en s'affairant les langues allaient bon train car on ne se voyait pas tous les jours...

On salait les pièces de choix, pendait le jambon dans l'âtre, glissait le saucisson sous la cendre, cuisait le boudin, suspendait la saucisse aux poutres pour la faire sécher. On fabriquait également du "melsat", sorte de boudin blanc confectionné avec du pain et des oeufs (que l'on économisait depuis plusieurs semaines) : on le mangeait tel quel quand il n'était pas trop sec, sinon on le préparait à la poêle.

Favorisée par des conditions climatiques favorables, la charcuterie des Monts de Lacaune est passée progressivement du stade artisanal à la production industrielle telle qu'on la connaît de nos jours...

A suivre : Haut-Languedoc d'antan (2)...
 

 
 



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