Haut-Languedoc d'antan

(2ème partie)

2 - A la borio e dins los camps (suite)

Les bovins ne constituaient pas dans nos montagnes la partie la plus importante de l'élevage, même si elles possèdaient une race bovine pure, celle d'Anglès. Les éleveurs essayèrent progressivement de spécialiser davantage leur cheptel, soit bêtes de travail, soit vaches laitières. D'ailleurs on ne mangeait quasiment pas de viande de boeuf, car les éleveurs savaient que les vaches qu'ils vendaient aux bouchers locaux étaient de vieilles bêtes épuisées au travail ou par les vêlages annuels...

Le secteur peut être fier d'avoir donné son nom à l'une des plus prestigieuses races ovines, la brebis de race Lacaune, dont on exploite principalement le lait. Celui-ci tient une place exceptionnelle dans le passé agricole des Monts de Lacaune, entraînant derrière lui les autres catégories de production. Grâce au lait, à la laine et à la viande (agneaux de lait) cet élevage était l'une des rares activités capable de faire rentrer de l'argent dans la maison...

Les troupeaux trouvaient leur nourriture d'été dans les terres laissées plusieurs années consécutives en jachère, les quelques bonnes prairies naturelles étant réservées au foin de fauche consommé en hiver. L'élevage ovin fut pendant des siècles la ressource du paysan pauvre, celui qui ne possédait qu'un ou deux hectares de terre cultivable. Les femmes et les enfants menaient paître ces bêtes le long des chemins ou sur les pâturages collectifs...

Les fermes plus importantes possédaient un berger, vêtu de burre, chaussé de sabots, coiffé d'un chapeau bravant les averses. Là-haut, début décembre, les intempéries immobilisaient les troupeaux dans les bergeries pour 4 ou 5 mois, puis arrivaient les agnelées. Alors le berger ne quittait plus ses brebis et couchait dans un coin de l'étable. Au printemps, les bêtes qui bêlaient d'ennui à l'intérieur, rejoignaient avec entrain les pâturages, le bélier ouvrant la marche rythmée par les "esquillous" tintant sur les drailles...

Cet élevage a trouvé son apogée lorsque l'amélioration des moyens de communication a permis de transporter vers les caves de Roquefort le fromage fabriqué sur les lieux de traite afin de l'affiner. Chaque village possédait souvent sa propre laiterie, affiliée à une cave (Société, Rigal, etc). Le lait était récupéré dans les fermes dès l'aube grâce à une jardinière tractée par un cheval, à la lueur d'une lampe à pétrole...

De ferme en hameau, les bidons de lait se remplissaient, leur poids ralentissant petit à petit l'allure de la jument. A chaque étape le lait était mesuré, parfois contrôlé (afin que le paysan ne le "mouille" pas avec de l'eau), puis transmis à la laiterie locale. Il était chauffé au bain-marie, on y ajoutait de la présure, et on écrasait ensuite le "caillé" avant de laisser s'écouler le petit lait que des éleveurs venaient récupérer pour confectionner du "brousse"...

Les fromages étaient moulés dans des cercles percés de petits trous ; ils étaient ensuite retournés et salés régulièrement et stockés dans une cave fraîche pendant une semaine. Ils étaient alors conditionnés dans des caissettes de bois et conduits par un charretier jusqu'aux caves de Roquefort. Au début des années 50, le lait de brebis fut directement conduit dans l'Aveyron et les laiteries locales fermèrent...

Les pains de roquefort, piqués et sondés, sont déposés sur les travées et commencent leur affinage. Le "penicillium roqueforti" se développe peu à peu à partir du coeur du fromage. Le sel appliqué sur le pourtour se diffuse pour atteindre le coeur de la forme en quelques semaines. Les pains sont alors enveloppés dans une feuille d'étain et placés dans les caves de maturation pour une durée variant de 3 à 10 mois...

On ne dressait que très rarement des boeufs pour les placer sous le joug. Ce sont les vaches qui tiraient la charrue ou la charrette, même si elles portaient leur veau annuel. Elles n'étaient engraissées pour la boucherie que lorsqu'elles pouvaient être remplacées par une paire plus jeune. Malgré des qualités indéniables de rusticité et d'endurance, elles étaient peu aptes à de gros travaux sur des terres lourdes...

Elles suffisaient cependant pour des labours peu profonds qui étaient réalisés avec une charrue en bois, ce vieil araire très proche de celui des Romains, jusqu'à la guerre de 14-18. Ensuite, on a utilisé pour les labours d'automne un brabant primitif à double soc, mais sans roue. Pour ces gros travaux saisonniers, toute la ferme était sollicitée, et l'on profitait d'un rayon de soleil pour casser la croûte dans le champ même, étant parfois très éloigné de l'habitation...

Dans ces montagnes plus qu'ailleurs, la pomme de terre constituait l'aliment de base, aussi était-il important de bien assurer la récolte avant les premières gelées ! L'histoire de France "vue de Paris" a retenu Parmentier comme l'importateur de ce tubercule, mais dans le Midi, et notamment sur ces hautes contrées, la pomme de terre était déjà cultivée bien avant, grâce entre autres à l'évêque de Castres Barral qui avait fait venir des semences du Dauphiné pour les distribuer dans toutes les paroisses...

Les temps des foins était un moment important dans la vie des paysans et mobilisait également toute la maisonnée : c'était la nourriture du cheptel assurée pour le long et rigoureux hiver qui s'installerait souvent dès Toussaint. Le fauchage commençait aux alentours de la Saint-Jean, et un mois ne serait pas de trop pour tout terminer. Afin d'accélérer ce fastidieux travail, les plus grandes propriétés louaient des faucheurs pour l'occasion...

Il fallait d'abord aiguiser la faux (qui servirait également en suivant pour la moisson) en tapant sur le fil de la lame. Son pénible maniement demandait ensuite un certain savoir-faire. Le foin coupé, il fallait le retourner plusieurs fois avant qu'il sèche.

L'usage de la faucheuse mécanique à traction animale n'est apparu qu'après la première guerre mondiale, et seulement sur les prés ne présentant pas une trop forte déclivité...

Venait ensuite le temps du chargement : les herbes séchées avaient été regroupées en longs andains serpentant dans les prairies, et la charrette passait au plus près pour les récupérer. Femmes et enfants rassemblaient le foin avec leurs larges râteaux en bois, et les hommes le chargeaient à l'aide de fourches souvent en bois également. Tout l'art consistait à en récupérer le plus possible, et faire en sorte que rien ne tombe jusqu'au déchargement du foin dans la grange...

C'est également à la faux que s'effectuait la coupe des céréales, seigle, avoine, parfois blé. Elles étaient liées en gerbes que l'on regroupait en petits tas dans les champs en attendant de venir les récupérer pour le battage. C'est à proximité des habitations, sur une aire plane et dure que s'effectuait le dépiquage. Au rouleau et au fléau (tel qu'on le voit sur la droite de l'image) pendant longtemps...

Progressivement, la moisson s'est mécanisée. Avec tout d'abord un manège actionné par des vaches. Plus tard grâce à une machine à vapeur (qu'il fallait alimenter régulièrement en eau) qui actionnait la batteuse. Celle-ci séparait le grain de la paille. Le premier était mis en sac et entreposé dans les greniers à l'écart des rongeurs, la seconde rangée en meules. On montait les gerbes en les assemblant en rond comme des tuiles, et le sommet monté ainsi rendait les gerbières pratiquement imperméables, les "paillargues"...

Sur ces terres où l'épaisseur de la couche de terre arable était assez faible, rajouté au climat humide et froid, on obtenait un rendement des plus médiocres. Une grande partie de cette faible récolte était destinée aux animaux de la ferme, le reste étant utilisé pour l'alimentation de la famille. Résultat, la production ne franchissait que rarement les portes de la métairie, et les boulangers locaux étaient obligés d'aller se ravitailler en farine dans la plaine...

Pourtant les moulins étaient très nombreux dans ces régions traversées par de multiples cours d'eau. Bien souvent, afin de profiter au maximum de la force de l'eau on adjoignait au moulin à céréales une scierie, une forge ou un métier à filature. Le meunier (qui possédait également sa propre exploitation) n'était pas en génaral rétribué en argent. Il conservait pour lui un seizième du grain à moudre, soit 4 kg et demi environ pour un hectolitre de seigle...

Le bois étant uniquement le seul moyen de chauffage et de cuisson, chaque famille profitait du répit laissé en hiver par les cultures pour effectuer des coupes de bois. La région était à l'époque essentiellement couverte de forêts de feuillus, et majoritairement du hêtre. Ces arbres étaient coupés tous les 30 à 40 ans pour être transformés en bois de feu ou en charbon de bois. Par comparaison, de nos jours on laisse ces hêtres devenir plus que centenaires et on les réserve à des usages plus nobles...

De la farine... Du bois... De l'eau à la source proche... Tous les éléments étaient réunis pour réaliser un ingrédient qui était très consommé à l'époque, le pain ! Chaque famille fabriquait alors son propre pain de seigle ou de froment, pour quinze jours au moins, surtout en hiver. C'était une véritable corvée pour toute la famille. Manches retroussées, il fallait tout d'abord pétrir à pleins bras la pâte dans la maie trônant en général dans la cuisine...

Elle reposait et gonflait toute la nuit, et le lendemain n'était pas de trop pour chauffer le four du hameau, former les miches, les cuire à point, les défourner et les stocker dans une petite pièce. Les premiers jours, ce pain de campagne était délicieux, surtout le "croustillet", sorte de flûte confectionnée avec le reste de la pâte. Mais après !...

Si certaines (plus riches) familles possédaient un four propre, la plupart d'entre elles se rendaient au four banal. On l'appelle ainsi parce qu'au moyen-âge il était accessible à ceux qui constituaient le "ban" du seigneur, à savoir ses vassaux. Celui de Gos, à proximlité de Barre, date du XVème siècle. Souvent les familles se regroupaient afin d'économiser le bois, et mettaient un signe distinctif sur leurs miches pour les reconnaître à la fin de la cuisson...

Tous ces travaux de la ferme étaient particulièrement salissants et il fallait régulièrement effectuer des lessives, car les armoires étaient bien moins garnies que dans la plaine ! Le processus était identique que celui indiqué dans l'article "Tarnais en 1900 - 1", avec quand même une particularité de taille : l'eau en montagne était beaucoup plus fraîche que dans les vallées...

Après avoir commencé la "bugado" la veille au domicile dans une grande cuve où l'on mélangeait cendre et eau chaude pour nettoyer le linge, il fallait ensuite aller le rincer. Si dans les villages ou les hameaux peuplés on disposait en général d'un lavoir (tel celui de Lacaune datant du XIVème siècle), il n'en était pas de même dans les fermes plus isolées où l'on transportait le linge en brouette jusqu'au plus proche cours d'eau.

Le linge était battu pour expulser la "lessive", abondamment rincé, avant d'être étendu sur les haies ou prés avoisinant l'habitation. A La Salvetat on avait même installé une passerelle rudimentaire pour faciliter l'accès à un endroit propice des berges de l'Agout. Maintes fois emportée par les inondations et reconstruite, elle a disparu en même temps que les laveuses "du bord de l'eau"...

 

 

A suivre...

 

 

 



 
 
 



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